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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/99

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de ce jugement et de ce goût; c’est pour la cour qu’il écrit, et non pour les pédans : « La grande épreuve de toutes les comédies, c’est le jugement de la cour; c’est son goût qu’il faut étudier pour trouver l’art de réussir ; il n’y a point de lieu où les décisions soient si justes ; et, sans mettre en ligne de compte tous les gens savans qui y sont, du simple bon sens naturel et du commerce de tout le beau monde, on s’y fait une manière d’esprit qui, sans comparaison, juge plus sûrement des choses que tout le savoir enrouillé des pédans. » Car il a ceux-ci en horreur; il ne trouve chez eux qu’hostilité ou faux goût, jalousie féroce ou parti-pris de cénacle. Il ne peut souffrir leurs coteries, fondées sur l’admiration mutuelle et le dénigrement des profanes. Son vrai public, c’est donc la cour, qu’il mettra une fois encore en parallèle avec les pédans, au quatrième acte des Femmes savantes, et, avec elle, la bourgeoisie parisienne, ces marchands de la rue Saint-Denis, ces procureurs et ces notaires dont parle Zélinde, qui « aiment fort la comédie et vont ordinairement aux premières représentations de toutes les pièces, » ce parterre de la Critique, qui « se laisse prendre aux choses et n’a ni prévention aveugle, ni complaisance affectée, ni délicatesse ridicule. » Aux deux élémens qui composent ce public, courtisans et bourgeois, il donne tour à tour, ou dans la même pièce, ce qui convient le mieux aux préférences de chacun : les gens de cour trouvent plaisir à voir ce qui se passe chez Harpagon ou chez M. Jourdain; les bourgeois ne se plaisent pas moins à connaître, par Clitandre et le chevalier, Acaste et Célimène, ce monde supérieur dont l’accès leur est interdit.

Mais il est une partie assez considérable du théâtre de Molière, fort goûtée de la cour, commandée par le roi, et que l’on reproche souvent au roi et à la cour, surtout au roi : les comédies-ballets. Qui en parcourt aujourd’hui les entrées et les divertissemens? Qui a lu jusqu’au bout la Princesse d’Élide et les Amans magnifiques? Ces œuvres de circonstance n’ont-elles pas enlevé à Molière un temps qu’il aurait consacré à des œuvres plus dignes de lui? Enfin, par leurs exigences spéciales, n’ont-elles point détourné vers les simples effets de spectacle des œuvres qui s’annonçaient comme comédies d’observation? Ces reproches sont spécieux et méritent d’être discutés. Il y a, dans les comédies-ballets de Molière, trop de ces invitations à l’amour prodiguées alors par les poètes, bien que Louis XIV n’eût pas besoin d’y être excité, trop de ce que Boileau appelle avec raison des « lieux-communs de morale lubrique. » La Princesse d’Élide, notamment, peut être regardée comme la célébration allégorique des amours, encore mystérieuses, de Louis XIV et de Mlle de La Vallière. Bien plus, dès la première scène du premier