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l’âge de saint François et de saint Dominique. » Certes, l’inquisition dominicaine eût aisément conjuré le fléau par la terreur, comme elle fit dans le midi de la France ; mais il était réservé à l’apostolat franciscain de détourner par la simple persuasion le cours de la crise sociale et religieuse. L’Italie répondra allègrement à la voix de saint François ; elle quittera sans regret des hérésies qui n’étaient point assez conformes à son génie. Ici, les excès de l’esprit sectaire étaient trop grands. Une jeune civilisation, enivrée d’espérances, ne pouvait accepter longtemps la pensée douloureuse qui est au fond des doctrines vaudoises et cathares, à savoir que la vie est mauvaise, la vie civile comme celle de la famille, que la nature est gâtée par l’opération de Satan, que le mariage est le pire des péchés, puisqu’il perpétue ici-bas la race perverse d’Adam et prolonge le séjour de l’humanité sur une terre de perdition. Ces religions farouches, intolérantes, devaient choquer les Italiens par la tristesse d’un culte qui n’avait ni églises, ni images, ni fêtes radieuses, par la dureté de la dévotion, les rigueurs de la morale, la pauvreté de l’idéalisme. Ces parfaits qui, vêtus de couleurs lugubres, se préparaient à la mort par la rêverie solitaire ou le fanatisme d’une perpétuelle prédication, qui s’astreignaient aux pénitences les plus sévères, à l’insupportable ennui du communisme religieux, à l’espionnage incessant de la société secrète ; ces saints qui hâtaient leur dernière heure par la faim volontaire et les tortures de l’Endura, ne pouvaient s’entendre avec un peuple mobile et fin, amoureux de la beauté comme de l’action, dont la piété sensuelle demandait à la fois une liturgie pathétique pour le plaisir des yeux, et, pour les faiblesses du cœur, l’indulgence caressante du prêtre. Les premiers temps du XIIIe siècle étaient donc propices pour faire rentrer dans l’église italienne la bonté et la sérénité des jours apostoliques et enseigner à toutes les brebis errantes que le retour au vieux bercail pouvait encore être doux.

II.


Mais il s’agissait pour les pasteurs d’aller eux-mêmes à la recherche du troupeau dispersé et de serrer entre leurs bras cette société inquiète qui s’en prenait à Dieu des misères de la vie. Il fallait rouvrir l’évangile à la page du Sermon de la montagne, retrouver le sourire de miséricorde et les paroles enchantées avec lesquels l’église berça jadis l’enfance du christianisme. Saint François pouvait prier son évêque, le jour où il se jeta à ses pieds, de lui conférer le sacerdoce ; il pouvait aussi se réfugier en quelque cloître