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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/144

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milieu du XIVe siècle, la renaissance des lettres classiques, puis l’influence des poèmes chevaleresques de la France, modifient profondément l’originalité première de la littérature italienne, de plus en plus réservée aux esprits très cultivés, tandis que la peinture, qui demeure populaire d’intention et cherche l’édification de toutes les âmes, conservera, même jusqu’à l’époque ironique de Machiavel et de l’Arioste, une sérénité et une joie particulières qui rappellent la dévotion des temps passés. Quelles que soient les misères ou les violences de l’église de Rome, que Boniface VIII, Sixte IV ou Jules II soit assis sur le siège de Pierre, que la chrétienté soit déchirée par deux ou trois antipapes à la fois, que le tombeau des saints apôtres paraisse un comptoir où l’on vend aux enchères le royaume de Dieu, la peinture sacrée, plongée comme en un rêve de tendresse, sera toujours fidèle aux traditions de son origine. La Passion pathétique de Giotto, comme la Cène imposante de Léonard, les beaux anges de Botticelli, aux longs cheveux bouclés, et les Paradis d’Angelico, où les bienheureux dansent sur un tapis de fleurs, le Christ fraternel de Masaccio, la Déposition au tombeau du Pérugin, l’Ecce Homo du Sodoma, les Vierges de Raphaël et d’Andrea del Sarto, toutes ces œuvres, qui vont de l’âge de Dante à celui de Léon X, se rattachent par leurs qualités essentielles au christianisme d’Assise. Considérez-les d’un coup d’œil d’ensemble, elles forment un long poème d’enthousiasme et d’amour ; observez-les l’une après l’autre, dans la variété infinie d’interprétation qu’elles expriment : ces artistes, dont l’idéal était si pur, ont touché au dogme, à la liturgie, à l’Écriture avec une liberté qui étonne ; leur religion est toute individuelle et familière, et la peinture la plus religieuse du monde est la moins ecclésiastique qui ait jamais été.

Au fond, cette liberté et cette familiarité sont le trait distinctif de la religion même de l’Italie, telle que nous la montrent tous les aspects de son histoire pendant trois siècles et demi, de saint François au concile de Trente. Christianisme original, qui n’eut rien ni de la foi pharisaïque des Byzantins, ni du fanatisme des Espagnols, ni du dogmatisme scolastique de l’Allemagne et de la France. Rien de ce qui, partout ailleurs, a assombri ou rétréci les consciences, ni la métaphysique subtile, ni la théologie raffinée, ni les inquiétudes de la casuistique, ni l’excès de la discipline, ni l’extrême scrupule de la dévotion n’a pesé sur les Italiens. Comparez saint François à saint Dominique et l’esprit des deux grands fondateurs des mendians, sainte Catherine de Sienne à saint Ignace, Dante à Calderon, Savonarole à Calvin ou à Jansénius. Du côté de Dieu, ils n’ont aucune angoisse, parce qu’ils comptent sur sa bonté ; du côté de l’église, ils n’ont plus de terreur, parce qu’ils se font en eux--