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Londres. Les agens secrets du gouvernement français la transmettaient à Paris. Parmi les émigrés, elle était l’objet de commentaires passionnés. Elle ranimait les espoirs évanouis. Elle relevait les courages abattus depuis de longs mois.

Avant d’aller plus loin, il convient de rappeler les événemens qui s’étaient accomplis en Europe au cours de l’année précédente : ils feront comprendre l’importance que le cabinet de Saint-James et les émigrés attachaient à l’arrivée de Pichegru. Décisive dans la marche de la révolution, cette année 1797 avait été fatale à la cause des Bourbons. A l’intérieur, la journée du 18 fructidor avait rendu au Directoire sa liberté d’action, aux jacobins leurs espérances, et paralysé pour longtemps les chances de la monarchie. A l’extérieur, les victoires de Bonaparte sur l’Autriche, le traité de Campo-Formio avaient brisé la première coalition atteinte déjà après de longues et sanglantes guerres, par la défection de l’Espagne et de la Prusse, réconciliées avec la France.

A la fin de cette année, l’Angleterre, découragée par l’inutilité de ses sacrifices, rappelait de Suisse l’agent Wickham, qu’elle entretenait à Berne depuis 1794, pour imprimer aux armées alliées et aux tentatives des émigrés une direction conforme à sa politique. Rebelle à toute idée de paix avec le Directoire, elle se résignait à attendre une heure plus opportune pour reprendre les hostilités.

Louis XVIII, chassé de Blankenberg par le mauvais vouloir de l’Autriche, comme il avait été chassé de Venise par les succès militaires de la France, se décidait à partir pour la Russie, où le tsar Paul Ier lui offrait un asile. Au moment de se mettre en route, il révoquait les pouvoirs donnés par lui à ses agens en vue d’éventualités qui ne s’étaient pas produites. Bien plus afin de maintenir ses relations avec eux que pour tirer parti de leur dévoûment devenu inutile, il choisissait parmi ses partisans réfugiés à Augsbourg quatre commissaires[1], et les chargeait de veiller à ses intérêts, intérêts singulièrement compromis, car dans les contrées de la France où les royalistes avaient montré le plus d’énergie et de zèle, on ne signalait que découragement et lassitude. La cause royale semblait donc désespérée.

Mais ces apparences étaient trompeuses. L’Angleterre veillait. Dès les premières semaines de 1798, sur la foi de récits venus de Paris, qui révélaient des divisions renaissantes entre républicains, elle reprenait espoir, s’attachait à ameuter de nouveau l’Europe contre la France. Elle envoyait un agent, Talbot, sur les frontières

  1. De Précy, le président de Vézet, le baron d’André et l’abbé Delamarre. Ils formèrent l’agence de Souabe. Ils avaient à leurs ordres un certain nombre d’émigrés.