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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/152

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son énergie. Dans le premier entretien qu’il eut avec le diplomate anglais, il ne parut songer qu’à rester inactif, à se faire oublier; il ne manifesta d’autre ambition que celle du repos; il prétendit qu’après les dures épreuves de la proscription et le vigoureux effort qu’il avait dû faire pour y mettre fin, il était sous le coup d’une accablante lassitude. Mais, Wickham ayant par d’adroites flatteries fait appel à son zèle pour la cause du roi, peu à peu les dispositions de Pichegru se modifièrent. Il ne se refusa pas à des pourparlers « sur les questions brûlantes.» Pendant les jours suivans, il se prêta à diverses conférences avec les ministres, leur révéla ses idées, fit connaître les plans que, de concert avec son ami le général Willot, il avait conçus et étudiés durant les longues et cruelles heures de leur captivité commune. En un mot, il donna clairement à entendre que ce général et lui-même étaient acquis à la cause de la monarchie, prêts à combattre pour elle.

Il n’y a pas lieu de s’attarder à énumérer ici les gages qu’antérieurement à la journée de fructidor Pichegru avait donnés à cette cause. Une si douloureuse aventure a eu ses historiens. Tout au plus convient-il d’en rappeler les principaux traits pour comprendre la facilité avec laquelle des relations nouvelles allaient s’établir entre l’ancien généralissime des armées républicaines et les chefs de l’émigration.

Les premières dataient du mois de mai 1795. À cette époque, Pichegru avait été mis en rapports avec le prince de Condé par l’intermédiaire de son aide-de-camp Badouville, du libraire Fauche-Borel, et de l’espion Montgaillard. Sans qu’il convienne de prendre au pied de la lettre les dénonciations de ce dernier, il est certain que Condé sollicita le concours de Pichegru, que Pichegru le promit; qu’il consentit, au mépris de ses devoirs militaires, à discuter les mesures les plus propres à favoriser le retour du roi; qu’il reçut de Louis XVIII de pleins pouvoirs pour les exécuter après qu’elles auraient été arrêtées[1]. On lui demanda de laisser l’armée de Condé se réunir à la sienne, de faire arborer la cocarde blanche à celle-ci, de les conduire ensemble à Paris après avoir livré aux Bourbons Huningue et Strasbourg. Le mauvais vouloir des Autrichiens,

  1. Au mois de mai 1796, Louis XVIII, alors à Riegel, écrivait à Pichegru : « Je confirme, monsieur, les pleins pouvoirs qui vous ont été transmis par M. le prince de Condé. Je n’y mets aucune borne, aucune restriction et vous laisse entièrement le maître de faire ce que vous jugerez nécessaire à mon service, compatible avec la dignité de ma couronne et convenable aux intérêts de l’état. »
    À cette lettre Pichegru répondait : « De grands événemens militaires peuvent amener des chances favorables ; je les saisirai, et le descendant d’Henri IV peut compter sur ma fidélité. »