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à se porter en Provence, provoquait une bruyante agitation dans le Midi, la révolte de la Suisse pouvait devenir le point de départ de la chute du gouvernement républicain.

Pichegru approuva ces vues. On lui promit de le seconder s’il parvenait à opérer dans l’Est. Il restait libre, d’ailleurs, d’agir à son heure et à son gré, au mieux des intérêts qui lui seraient confiés. L’Angleterre était résolue à ne pas entraver son action, s’engageait à mettre à sa disposition, sans lui en demander compte, les ressources pécuniaires dont il aurait besoin, et promettait d’assister tout parti intérieur capable de résister ouvertement et directement au gouvernement tyrannique de la France, ou de coopérer avec les alliés dans le même sens.

L’accord intervenu sur ces divers points n’avait pas épuisé l’objet des négociations. Elles se continuèrent sur d’autres non moins importans. Pichegru, d’accord en cela avec Louis XVIII sans l’avoir consulté, était d’avis que les armées alliées devaient se faire précéder en France par un manifeste portant expressément que la guerre entreprise par elles n’avait pas la conquête pour but, mais le rétablissement du roi légitime. Il pensait également que, par ce manifeste, les puissances devaient reconnaître Louis XVIII comme roi de France. Or, c’est précisément sur ces graves questions que les ministres anglais refusaient de se prononcer. Ils protestaient du désintéressement de l’Angleterre ; l’idée de conquête n’entrait pour rien dans leurs résolutions ; mais ils avaient trop souvent déclaré qu’ils ne faisaient pas la guerre à la France dans l’intérêt des Bourbons pour revenir sur leurs déclarations, procéder à la reconnaissance du roi, et s’infliger à eux-mêmes un démenti. Au surplus, ils ne pouvaient prendre aucune décision à cet égard sans s’être concertés avec la Russie et l’Autriche. Il convenait donc d’attendre le résultat des pourparlers qui ne manqueraient pas de s’engager, et, pour leur part, ils n’hésiteraient pas à suivre l’exemple qui leur serait donné par leurs alliés.

Confiant dans l’issue des négociations annoncées, Pichegru se contenta de ces réponses. Sa conviction, ainsi qu’on le verra, n’était pas absolument faite quant à l’opportunité de la reconnaissance préalable du roi par les alliés. Il croyait à ce moment cette reconnaissance nécessaire. Un peu plus tard, il ne la considéra plus que comme une démarche imprudente qui devait être ajournée jusqu’après le renversement du Directoire.

D’ailleurs, avant même qu’il conférât avec les ministres britanniques, il avait reçu, à leur insu, une confidence dont l’objet prit bientôt dans son esprit une grande place et relégua au second plan de ses préoccupations la question de la reconnaissance de Louis XVIII par les