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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/164

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guerre contre La France. Il expédia aussitôt à Copenhague un officier de confiance, le colonel Anstrutter, pour conférer avec le prince Charles. Pendant ce temps, Dumouriez était revenu à Altona. Comblé de présens et de faveurs par le généralissime danois, dévoré du désir de jouer un grand rôle, assuré d’un puissant appui pour ses projets, il consacrait les loisirs de son exil à les compléter, à les perfectionner par une étude incessante. Il rêvait déjà de les réaliser avec l’appui de la cour de Russie. C’est de cette époque que datent ses tentatives pour se rapprocher de Louis XVIII, depuis quelques mois installé à Mitau.

La plus décisive eut lieu par l’intermédiaire d’un émigré, M. de Fonbrune, qui était parvenu à capter la confiance de l’entourage du roi. Fonbrune fut secondé par un certain baron d’Angély, émigré comme lui. On doit, à défaut de preuves contraires, les classer l’un et l’autre parmi les aventuriers que l’émigration comptait dans ses rangs, où ils vivaient d’intrigues et d’espionnage. D’Angély paraît avoir été employé, par les Anglais, pour savoir ce qui se passait à Hambourg dans les cercles républicains. Dumouriez, quoiqu’il le tînt en mépris, avait recouru à ses bons offices pour surveiller les faits et gestes des agens de la légation de France. Se croyant son obligé, il le subissait, bien loin de se douter que très probablement d’Angély profitait de ses relations avec lui pour surprendre ses secrets et les révéler à l’envoyé du gouvernement français[1]. Quant à Fonbrune, il avait mauvais renom. On l’accusait d’avoir, en 1789, porté, à Vienne, à l’empereur Joseph II, de prétendues lettres de Marie-Antoinette, fabriquées par lui, en vue d’obtenir des secours pécuniaires.

Dumouriez ne professait pas plus d’estime pour Fonbrune que pour d’Angély. Mais Fonbrune était actif, il se montrait dévoué. A Saint-Pétersbourg, où il s’était rendu l’année précédente, il avait, en affirmant son dévoûment au roi, conquis des protecteurs par lesquels il s’était fait recommander à ce dernier. A Mitau, on le jugeait peu sûr ; on le soupçonnait de connivence avec les révolutionnaires ; ses demandes d’argent étaient incessantes ; le cabinet du roi écrivait à Thauvenay, son agent à Hambourg : « Vous jugerez mieux que personne le parti qu’on peut tirer de la dextérité de M. de Fonbrune et du plus ou moins de vraisemblance des imputations dont on cherche à le noircir. »

Tel était le personnage que Dumouriez employa pour opérer son rapprochement avec la cour de Mitau. Fonbrune avertit Thauvenay

  1. d’Angély avait un fils qu’il imposa à Dumouriez comme secrétaire ou aide-de-camp, lorsque le général fut appelé en Russie.