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des dispositions de Dumouriez. Thauvenay s’empressa d’écrire à Saint-Priest. La réponse ne fut pas telle que la souhaitait le général. Loin de l’accueillir comme un sauveur, on le prit de haut avec lui. Quels que fussent ses projets, qu’on ne connaissait pas encore, on ne voulait en entreprendre l’examen qu’autant qu’il demanderait l’agrément du roi « dans des formes convenables. » c’était la condition même de l’acceptation de ses services. « Son hommage, disait Saint-Priest, sera agréé par Sa Majesté, qui oubliera les torts que M. Dumouriez a pu avoir envers Elle par sa conduite et ses écrits. Il pourra alors se regarder comme avoué pour agir. » Dumouriez espérait mieux que ce langage. Mais, loin de s’irriter ou de se décourager, il attendit une occasion propice pour revenir à la charge, s’employant à faire parvenir à Saint-Pétersbourg, par des voies détournées, ses idées sur la nécessité d’employer le Danemark au rétablissement de la monarchie française.

A Mitau, quoi qu’on eût laissé paraître, les offres de Dumouriez avaient été reçues comme une bonne fortune. Elles coïncidaient avec celles de Pichegru et de Willot, avec la négociation Barras, que suivait le duc de Fleury, envoyé à Hambourg à cet effet, et enfin, avec la résolution prise par les cours de Saint-Pétersbourg, de Londres et de Vienne, de rouvrir les hostilités contre la république. Le plan de Dumouriez venait compléter ceux des deux autres généraux qui s’étaient mis au service du roi. L’événement était considérable. Il méritait qu’on y portât attention, qu’on imposât silence aux vieux griefs de l’émigration contre ces illustres soldats.

On pouvait prévoir maintenant les effets de leur triple concours, juger de l’appui qu’ils donneraient aux alliés, Pichegru en entrant en France par la frontière de l’Est, soutenu par les Russes, en prenant possession, au nom du roi, de la Franche-Comté, où la cause des Bourbons comptait des défenseurs jusque parmi les officiers supérieurs commandant la place de Besançon[1] ; Willot en entrant, derrière les Autrichiens, par le Dauphiné et la Provence, tandis que Précy soulèverait Lyon, Le Puy, Rodez et Monde; Dumouriez, enfin, en débarquant en Normandie à la tête du contingent danois, appuyé par les Anglais. D’un si remarquable mouvement on pouvait tout attendre, surtout s’il était secondé par Barras, dont les nouvelles demeuraient rares et obscures, mais qu’on croyait disposé à tenir les promesses faites en son nom.

Comment la cour de Mitau ne se serait-elle pas livrée à la joie et à

  1. De quatre lettres, en date des 19, 25, 29 mai et 4 juin 1799, dont la copie existe parmi les documens qui nous ont été envoyés de Moscou, il résulte qu’à cette époque le commandant militaire de Besançon avait promis de marcher avec Pichegru. Ces lettres, trop longues pour trouver place ici, seront publiées ultérieurement.