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l’espérance quand elle recevait des lettres comme celle-ci, écrite par le tsar à Louis XVIII, le 14 mai? « Relativement au général Pichegru et au projet de le revêtir du commandement d’une armée française qui, préparée par Barras et ses agens, de républicaine deviendrait royaliste, je suis persuadé, d’après ce qui m’est revenu au sujet de ce général par le comte d’Avaray, qu’il se trouve muni d’instructions et de moyens par l’Angleterre et que celle-ci ne fera sans doute aucune difficulté de pourvoir à des secours ultérieurs dès qu’elle verra qu’ils ne seront pas employés en vain. »

Les intentions que Paul Ier attribuait à l’Angleterre étaient, par malheur, sans fondement, un écho des illusions de Louis XVIII, entretenues, par son ignorance des véritables sentimens des cours de Vienne et de Londres, qu’il ne croyait pas, tout en se méfiant d’elles, systématiquement hostiles à ses intérêts, encouragé surtout par les bulletins qu’il recevait de l’intérieur de la France : « Tout présage, disait l’un de ces bulletins, que le succès des efforts qui se préparent sur tous les points de la France, dépassera les espérances des royalistes et les craintes des républicains, surtout si les puissances indiquent le rétablissement de la monarchie comme le but et le terme de la guerre. »

On peut maintenant s’expliquer pourquoi la petite cour de Mitau, pendant que se déroulaient ces incidens, vivait dans une fiévreuse attente. La nouvelle de l’évasion de Pichegru et de son arrivée à Londres lui avait été apportée par la lettre de Dutheil, écrite à la fin de septembre à l’issue de la première visite de cet agent au général. Le roi, acceptant les affirmations un peu risquées de Dutheil comme l’expression très exacte de la vérité, s’était empressé d’avertir Paul Ier de l’événement et de lui demander des passeports pour Pichegru. Puis, le 20 décembre, il dictait ce qui suit en réponse à Dutheil et à d’Harcourt : « Le roi est résolu de conserver les emplois, grades et soldes aux officiers républicains qui se déclareront pour son rétablissement sur le trône, et le général Pichegru peut se regarder lui-même comme lieutenant-général des armées de Sa Majesté, qui ne désire rien davantage que d’être dans le cas de lui conférer des récompenses plus distinguées... Le roi serait charmé du voyage du général. Sa Majesté fera de nouveaux efforts pour lui obtenir des passeports[1]. «

  1. Il est piquant de rapprocher de cette lettre celle qui avait été écrite antérieurement, le 6 décembre, à Thauvenay, au sujet du voyage de Pichegru : « Nous serions très embarrassés si son intention était de venir à Mitau. L’empereur vient de refuser au roi, pour la seconde fois, un passeport pour le marquis de Duras, et Sa Majesté est décidée à ne plus en demander à Sa Majesté impériale. Peut-être ce général pourrait-il entremettre la cour de Londres pour en obtenir un. Mais, au total, il vaut mieux qu’il renonce à cette course. Le roi ne peut que lui donner les assurances de sa bienveillance, et M. le duc de Fleury a déjà cette commission, de la part de Sa Majesté, pour Pichegru. Il serait convenable qu’il écrivît au roi, et je suppose qu’il s’en acquittera en arrivant sur le continent. »