Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/190

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au nom de révolution naturelle, est portée à sacrifier partout l’individu; l’amour, au nom d’une évolution supérieure, morale et sociale, voudrait le conserver tout entier. C’est l’une des plus inquiétantes antinomies qui se posent devant l’esprit du philosophe.

Doit-on accorder entièrement gain de cause à la science, ou bien faut-il croire qu’il y a quelque chose de véridique dans l’instinct social qui fait le fond de toute affection, comme il y a un pressentiment, une anticipation de vérité dans tous les autres grands instincts naturels? L’instinct social a ici d’autant plus de valeur aux yeux du philosophe, qu’on tend aujourd’hui à considérer l’individu même comme une société, l’association comme une loi universelle de la nature, dont les sociétés humaines ne sont qu’un cas particulier. L’amour, qui est le plus haut degré de la force de cohésion dans l’univers, a peut-être raison de vouloir retenir quelque chose de l’association entre les individus. Son seul tort est d’exagérer ses prétentions ou de mal placer ses espérances. Après tout, il ne faut pas être trop exigeant ni demander trop à la nature. Un vrai philosophe doit savoir faire, même pour ceux qu’il aime, la part du feu de la vie. La mort est l’épreuve de la flamme, qui ne purifie qu’en consumant.

La science qui semble si opposée à la conservation de l’individu, c’est surtout la mathématique, qui ne voit dans le monde que des chiffres toujours variables et transformables l’un dans l’autre, et qui joue trop avec des abstractions. Au contraire, la plus concrète peut-être des sciences, la sociologie, voit partout des « groupemens » de réalités : elle ne peut donc faire aussi bon marché ni des rapports d’association, ni des termes eux-mêmes entre lesquels ils existent. Cherchons si, à ce point de vue supérieur d’une science plus complète et plus concrète, la conscience, principe de la personnalité vraie, exclut nécessairement et exclura toujours cette possibilité de durée indéfinie que toutes les grandes religions attribuent à l’esprit.


III.

L’ancienne métaphysique s’est trop préoccupée des questions de substance, se demandant si « l’âme » est faite d’une « substance » simple ou d’une substance composée. C’était se demander si l’esprit est fait d’une sorte de matière indivisible ou divisible ; c’était prendre pour base la représentation imaginative et, en quelque sorte, étendue des opérations mentales. C’est sur cette ontologie des