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Selon les doctrines aujourd’hui dominantes dans la physiologie et la psychologie expérimentale, la conscience individuelle serait un composé où se fondent des consciences associées, celles des cellules formant l’organisme[1]. L’individu enveloppant ainsi une société, le problème de la mort revient à se demander s’il peut exister une association d’ordre mental tout à la fois assez solide pour durer toujours, et assez subtile, assez flexible pour s’adapter au milieu toujours changeant de l’évolution universelle.

Ce problème, remarquons-le d’abord, est précisément celui que cherchent à résoudre les sociétés humaines. Au premier degré de l’évolution sociale, la solidité et la flexibilité d’adaptation ont été rarement unies ; l’immuable Égypte, par exemple, n’a pas été très progressive. Au second degré, à mesure que la science avance et que, dans l’ordre pratique, la liberté grandit, la civilisation se montre tout ensemble plus solide et plus indéfiniment flexible. Un jour, quand la civilisation scientifique sera une fois maîtresse du globe, elle aura à son service une force plus sûre que les masses les plus compactes et en apparence les plus résistantes ; elle sera plus inébranlable que les pyramides mêmes de Chéops. En même temps, cette civilisation scientifique se montrera de plus en plus flexible, progressive, plus capable d’appropriation à tous les milieux : ce sera la synthèse finale de la complexité et de la stabilité. Le caractère même de la pensée est d’être une faculté d’adaptation croissante : plus l’être s’intellectualise, plus il augmente sa puissance d’appropriation. L’œil, plus intellectuel que le tact, fournit aussi un pouvoir d’adaptation à des milieux plus larges, plus profonds, plus divers. La pensée, allant encore plus loin que l’œil, se met en harmonie avec l’univers même, avec les soleils et les étoiles de l’immensité comme avec les atomes de la goutte d’eau. Si la mémoire est un chef-d’œuvre de fixation intellectuelle, le raisonnement est un chef-d’œuvre de flexibilité, de mobilité et de progrès. Donc, qu’il s’agisse des individus ou des peuples, les plus intellectuels sont aussi ceux qui ont à la fois le plus de stabilité et le plus de malléabilité. Le problème social est de trouver la conciliation de

  1. « L’association ou le groupement est la loi générale de toute existence, organique ou inorganique. La société proprement dite n’est qu’un cas particulier, le plus complexe et le plus élevé de cette loi universelle... Une conscience est plutôt un nous qu’un moi... Dans ses rapports avec d’autres consciences, elle peut, sortant de ses limites idéales, s’unir avec elles et former ainsi une conscience plus compréhensive, plus une et plus durable, de qui elle reçoit et à qui elle communique la pensée, comme un astre emprunte et communique le mouvement au système auquel il appartient. » (M. Espinas, des Sociétés animales, 128. — Voir aussi M. Alfred Fouillée, la Science sociale contemporaine, livre II.) «