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âmes. Dès lors, il est permis de se demander si les consciences, en se pénétrant, ne pourront un jour se continuer l’une dans l’autre, se communiquer une durée nouvelle, au lieu de rester, selon le mot de Leibniz, plus ou moins « momentanées. »

Dans les intuitions mystiques des religions on entrevoit parfois le pressentiment de vérités supérieures : saint Paul nous dit que les cieux et la terre passeront, que les prophéties passeront, que les langues passeront, qu’une seule chose ne passera point, la charité, l’amour. Pour interpréter philosophiquement cette haute doctrine religieuse, il faut admettre que le lien de l’amour naturel, qui est le moins simple et le moins primitif de tous, sera cependant un jour le plus durable, le plus capable aussi de s’étendre et d’embrasser progressivement un nombre d’êtres toujours plus voisin de la totalité, de la « cité céleste. » c’est par ce que chacun aurait de meilleur, de plus désintéressé, de plus impersonnel et de plus aimant qu’il arriverait à pénétrer de son action la conscience d’autrui. Et ce désintéressement coïnciderait avec le désintéressement des autres, avec l’amour des autres pour lui : il y aurait ainsi fusion possible, il y aurait pénétration mutuelle si intense que, de même qu’on souffre à la poitrine d’autrui, on en viendrait à vivre dans le cœur même d’autrui. Certes, nous entrons ici dans le domaine des rêves, mais nous nous imposons comme règle que ces rêves, s’ils sont ultrascientifiques, ne soient pas antiscientifiques. Transportons-nous donc vers cette époque problématique, quoique non contradictoire pour l’esprit, où les consciences, arrivées toutes ensemble à un degré supérieur de complexité et d’unité interne, pourraient se pénétrer beaucoup plus intimement qu’aujourd’hui sans qu’aucune d’elles disparût par cette pénétration. Elles communiqueraient ainsi entre elles, comme, dans le corps vivant, les cellules sympathisent et contribuent chacune à former la conscience collective : « Tous en un, un en tous. » On peut imaginer des moyens de communication et de sympathie beaucoup plus subtils et plus directs que ceux qui existent aujourd’hui entre les divers individus. La science du système nerveux et cérébral ne fait que commencer ; nous ne connaissons encore que les exaltations maladives de ce système, les sympathies et suggestions à distance de l’hypnotisme ; mais nous entrevoyons déjà tout un monde de phénomènes où, par l’intermédiaire de mouvemens d’une formule encore inconnue, tend à se produire une communication de consciences, et même, quand les volontés mutuelles y consentent, une sorte d’absorption de personnalités l’une dans l’autre. Cette complète fusion des consciences, où d’ailleurs chacune pourrait garder sa nuance propre tout en se composant avec celle d’autrui, est ce