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presque sage et on s’étonnait d’avoir été fou. On se prenait à douter de ses passions et de ses haines, on avait des regrets, des repentirs, des incertitudes de conscience. Tel exilé qui venait de rentrer se réconciliait à moitié avec les évènemens, avec un ordre de choses où il espérait se faire une place; il cherchait à se rattacher au nouveau régime et lui offrait ses services. Tel révolutionnaire convenait que la république avait bien quelques péchés à se faire pardonner et souhaitait qu’elle s’appliquât désormais à se rendre agréable par ses bons procédés, par la douceur et l’honnêteté de ses manières, qu’elle prouvât à l’Europe qu’un gouvernement populaire peut être un gouvernement de bonne compagnie. Quant à la nation, elle éprouvait cet abattement, cette langueur qui succède aux frisions de la fièvre ; elle était lasse, excédée de ses émotions, elle ne demandait qu’à se reposer, dût-elle acheter son repos au prix de sa liberté, et d’avance elle acceptait un maître, pourvu qu’il eût du sang jeune dans les veines, qu’il se fît un devoir de respecter les droits nouveaux que la force avait fondés et qu’il estimât que la possession vaut titre.

La France de 1886 n’est pas la France de 1796. Elle ne sort pas d’une Terreur, elle n’a pas été gouvernée par des hommes de proie et de sang, et les prétendans auraient tort de croire que, lasse de sa liberté, elle soit impatiente de se donner un maître. Après avoir essuyé de sinistres catastrophes, qui ont mis son existence en péril, mais dont la. république n’est point responsable, elle a dû s’imposer les plus coûteux sacrifices pour reprendre son, rang parmi les nations. Elle s’est tâtée; elle s’est sentie et n’a point désespéré de son relèvement. L’Europe a admiré son courage, sa résolution, sa sagesse, l’abondance de ses ressources. Ceux qui l’avaient condamnée, ceux qui la croyaient à jamais perdue, se sont étonnés de sa rapide convalescence, et ses ennemis mêmes ont dû confesser que cette morte était encore pleine de vie. Elle a attribué sa guérison à ses efforts plus qu’aux ordonnances de ses médecins. Si habiles qu’ils fussent, ils ne s’entendaient pas, ils se chamaillaient entre eux; chacun prescrivait à la grande malade un traitement, des pilules de sa façon. Elle est fermement convaincue que c’est la force de son tempérament qui l’a sauvée, et, plus le cas était mortel, plus elle est fière d’en avoir réchappé et disposée à croire à son avenir.

Si la France n’éprouve pas aujourd’hui les lassitudes qu’elle ressentait en 1796, si elle porte assez allègrement le poids du jour et de ses soucis, on ne saurait méconnaître qu’elle est devenue encore plus indifférente qu’elle ne l’était alors en matière de questions constitutionnelles. Jamais le scepticisme politique n’avait fait d’aussi grands ravages parmi nous; on peut s’en plaindre, mais les plaintes n’ont jamais guéri de rien. Il est de bons mariages, a dit un moraliste, il