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n’en est point de délicieux. En épousant le régime républicain, la France, ne s’est pas flattée de faire un mariage délicieux; elle a renoncé depuis longtemps aux délices, aux enchantemens de la passion. Il lui suffit que son gouvernement la respecte, qu’il ait pour elle des attentions, des égards, et qu’il ne survienne aucun de ces accidens tragiques qui conduisent fatalement au divorce. Elle incline à croire que le choix qu’elle a fait est le meilleur qu’elle pût faire, qu’elle aurait beaucoup de peine à remplacer les institutions qu’elle s’est données. Mais elle n’entend pas s’être lié à jamais les mains, elle se réserve le bénéfice d’inventaire ; elle fait une expérience, et si elle venait à se convaincre que le gouvernement impersonnel compromet gravement ses intérêts, son bonheur ou sa dignité, elle aurait bientôt fait de chercher un nom et un homme.

Toutefois elle est décidée à ne pas se presser. Elle désire pousser jusqu’au bout l’expérience qu’elle a commencée, et elle veut la faire de bonne foi; il n’y a que les expériences loyales qui prouvent quelque chose. Les événemens l’ont rendue très méfiante à l’endroit des partis, de leurs programmes, de leurs prospectus, et elle n’écoute que d’une oreille les insinuations des monarchistes quand ils cherchent à lui persuader qu’ils tiennent dès aujourd’hui à sa disposition un gouvernement qui pansera toutes ses plaies, qui lui procurera tous les biens, un gouvernement fort, énergique, glorieux et pourtant bénin, doux et charmant. Elle est résolue à s’accommoder provisoirement de ce qu’elle a, elle s’est convertie à la méthode expérimentale, elle ne se déjugera qu’à la dernière extrémité.

— « Les événemens terribles dont nous avons été les témoins, écrivait Mme de Staël en 1809, ont blasé les âmes. La diversité des circonstances a porté les esprits à soutenir tous les côtés des mêmes questions; il en est résulté qu’on ne croit plus aux idées ou qu’on les considère tout au plus comme des moyens. La conviction semble n’être pas de notre temps, et quand un homme dit qu’il est de telle opinion, on prend cela pour une manière délicate d’indiquer qu’il a tel intérêt. Les hommes les plus honnêtes se font alors un système qui change en dignité leur paresse : ils disent qu’on ne peut rien à rien, ils répètent avec l’ermite de Prague, dans Shakspeare, que ce qui est doit être, et que les théories n’ont point d’influence sur le monde. » Si Mme de Staël se plaignait du scepticisme politique de ses contemporains, que dirait-elle du nôtre ? Les chefs de parti qui rêvent de gouverner ce pays par l’enthousiasme s’exposent à de cruels mécomptes. Un vieillard demandait s’il y avait encore de l’amour. Il est certain qu’en politique, l’amour et les amoureux sont devenus rares. Nous ne tenons pour absolument sincères que les sentimens modérés et tièdes, et nous considérons comme un fou rusé l’homme qui s’exalte