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moment. Elle en a senti les avantages, elle en a reconnu plus tard les inconvéniens, et sans les avoir détestés, elle n’a pas cru qu’elle fût tenue de les regretter beaucoup.

La France a tant roulé et tant vu rouler le monde autour d’elle que sa candeur en a considérablement souffert. Comment pourrait-elle avoir aujourd’hui une religion politique? On ne peut croire dévotement qu’à ce qui dure, et le premier devoir d’un dieu est d’être éternel. On lui recommande la monarchie héréditaire comme le plus stable des gouvernemens ; elle en doute quand elle considère que, depuis un siècle, aucun de ses souverains n’a pu léguer sa couronne à son fils, qu’elle ne connaît point d’héritier du trône qui ait été envoyé en possession. On lui représente qu’il est bon de donner des tuteurs à un arbre faible pour le soutenir et le redresser; elle a vu tous ses tuteurs tomber l’un après l’autre et l’arbre est encore debout. Toutes les monarchies dont elle avait fêté l’avènement ont eu leurs grandeurs, leurs gloires, leurs beaux jours, leurs prospérités, qui semblaient leur promettre de longues destinées. La tête de la statue était d’or, sa poitrine était d’argent, son ventre était d’airain; mais une pierre détachée de la montagne a brisé ses pieds d’argile, et la France s’est étonnée de voir combien pèse peu la poussière d’un trône et avec quelle rapidité le vent la balaie.

Instruite par ses déconvenues, si elle ne croit plus à la durée des monarchies, elle croit encore moins à l’utilité des révolutions et des changemens, qu’elle aima trop jadis. Elle a fait de salutaires réflexions sur l’incertitude des événemens, sur l’inconséquence des hommes, si différens d’eux-mêmes suivant qu’ils sont dans l’opposition ou au pouvoir, sur les manèges et la charlatanerie des partis, sur la vanité de leurs promesses. Les empiriques qui lui imposaient leurs soins prétendaient posséder des recettes infaillibles pour la délivrer de tous ses maux; ils n’ont fait le plus souvent que les remplacer par d’autres. Elle craint de ressembler à ces malades qu’on envoie courir tous les bains de l’Europe pour y guérir leurs rhumatismes, et qui en rapportent une affection du foie. Elle aime mieux prendre ses rhumatismes en patience, presque en amitié, que de s’exposer à les regretter. Aussi prie-t-elle ses médecins de la laisser tranquille; elle se défie des cures violentes qui coûtent très cher et emportent quelquefois le patient. « Il n’est pas indifférent, a dit Montesquieu, que le peuple soit éclairé. Dans un temps d’ignorance, on n’a aucun doute, même lorsqu’on fait les plus grands maux; dans un temps de lumière, on tremble encore lorsqu’on fait les plus grands biens. On sent les abus anciens, on en voit la correction; mais on voit encore les abus de la correction même. »

Cet esprit de doute, si répandu aujourd’hui dans la nation, s’est