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conversation ne pouvait aller loin : ils jouèrent ainsi, deux jours de suite, aux propos interrompus, sans que Kinsky eût obtenu les éclaircissemens qu’il désirait et sans que Villars eût compris le motif de sa démarche. Villars interpréta le langage du ministre dans le sens de ses espérances; il crut à des ouvertures pour un traité direct et les enregistra avec une naïve satisfaction. Kinsky revint à la charge le 30 janvier, et, cette fois, il fut plus explicite : il se plaignit du silence de la France, alors qu’il était notoire que son activité diplomatique était grande à Madrid et à Londres ; il savait que des négociations étaient engagées pour le partage de la monarchie espagnole. Pourquoi les cachait-on à l’Autriche? Voulait-on la tenir à l’écart? Le testament du roi d’Espagne était un grave événement. On n’en disait rien : pourquoi ne pas échanger ses impressions? Villars ne savait que répondre et multipliait les assurances banales, tout en rejetant sur le silence observé à son égard la cause du silence du roi. Il se chargea de transmettre au roi, sans délai, les ouvertures qui lui étaient faites.

Il était tout à la joie que lui causait ce premier début de négociation, lorsqu’un incident inattendu vint, à son grand déplaisir, suspendre tout commerce entre la cour impériale et lui.

Il y avait, le même soir, bal à la cour. L’usage était de n’inviter à ces réunions restreintes que les personnes qui prenaient part aux danses : le corps diplomatique, quelques étrangers de distinction, assistaient à la fête dans de petites loges séparées de la salle de bal par une balustrade. La salle où se donnait ce divertissement dépendait de l’appartement de l’impératrice douairière, dont l’archiduc Charles occupait une partie. Villars s’y rendit et se plaça dans une de ces loges avec Hop, l’envoyé de Hollande; l’envoyé de Suède, le nonce, les ambassadeurs d’Espagne, de Venise et de Savoie en occupaient une autre ; l’évêque de Raab soupait dans une loge voisine « de la desserte de l’empereur. » Rappelons que ni Villars, ni la plupart des diplomates présens n’avaient, pour des causes rapportées ci-dessus, été présentés à l’archiduc.

Quelques instans avant l’ouverture du bal, le prince Liechtenstein, ajo de l’archiduc, entra dans la salle : apercevant Villars, il marcha droit à lui, lui dit qu’il trouvait étrange sa présence chez l’archiduc, auquel il n’avait pas été présenté, et l’engagea à se retirer. Surpris par cette brusque interpellation, Villars la reçut assez mal et répondit, non sans vivacité, qu’il n’était pas le seul dans le même cas; que d’ailleurs il se trouvait, non chez l’archiduc, mais chez l’empereur, et avait le droit d’y rester. Liechtenstein ayant insisté, Villars sut se maîtriser et sortit. Les autres envoyés ne furent pas interpellés et demeurèrent.

L’aventure, comme on peut le penser, fit grand bruit et donna à