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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/312

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et en cela, il faut le reconnaître, il n’avait pas tort : le point de vue qui avait dominé dans la rédaction du traité était le point de vue anglo-hollandais, c’est-à-dire le point de vue maritime et commercial : les aspirations naturelles des deux dynasties rivales et les convenances géographiques des deux états n’avaient pas été prises en considération; la base normale d’une entente directe entre l’Autriche et la France était celle de 1668, à savoir les Pays-Bas à l’une et le Milanais à l’autre ; elle avait été écartée à cause des susceptibilités anglo-hollandaises, que Louis XIV voulait à tout prix satisfaire ; le lot assigné à l’Autriche, en lui fermant l’Italie, en l’isolant dans les Pays-Bas, en lui donnant l’Espagne ruinée à garder sans armée et les Indes lointaines à exploiter sans marine, ne répondait à aucun de ses intérêts actuels. Aussi, lorsque Hop l’offrit pour la première fois aux ministres autrichiens, l’indignation fut-elle grande au sein du conseil : il n’y eut qu’une voix pour flétrir la trahison des Anglais et des Hollandais, qui manquaient à leur foi et à l’alliance conclue en 1689. À cette impression de colère en avait succédé une de découragement : les idées de négociation directe avec la France avaient alors gagné du terrain ; mais on n’avait pas su se mettre d’accord sur les termes de la proposition à lui faire ; tout s’était borné à cette offre dérisoire des Indes, que nous avons vu Guillaume repousser avec tant de hauteur, et à quelques banales conversations avec Villars.

On avait pourtant pris une résolution positive, celle d’envoyer un ministre en France ; que l’on se décidât ou non à traiter, il était indispensable de pourvoir un poste depuis trop longtemps vacant ; on y avait mis le comte Sinzendorf, jeune débutant de bonne maison, mais on lui avait interdit toute initiative et mesuré parcimonieusement les instructions et les renseignemens; comme Villars, il devait observer, écouter et attendre. Torcy avait bientôt reconnu le vide de ses informations et cessé de le prendre au sérieux. Le silence et la réserve de Villars avaient failli l’exposer au même traitement. Le premier effarement passé, Kaunitz avait obtenu que l’on étudiât au moins avec soin la question de savoir s’il convenait ou non de traiter avec la France et sur quelle base, celle de 1668 ou toute autre. Plusieurs séances du conseil en août et septembre 1699 avaient été consacrées à cette étude : le conseil semblait pencher vers la conciliation ; lorsqu’on en était venu à discuter le mode de procéder, en cas de négociation, Mansfeld avait conseillé de prendre un autre intermédiaire que Villars : « Il doutait que Villars eût le crédit suffisant pour que le roi lui confiât une négociation de cette importance. » Ce fut Kaunitz qui avait insisté pour que Villars ne fût pas mis de côté, non prœtereundum : « Il ne pouvait pas croire que l’envoyé du roi fût laissé dans l’ignorance de ce qui se passait. »