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du Milanais, soit en échangeant toutes les Indes contre les possessions de l’Espagne en Italie.

Villars crut toucher au but si ardemment désiré : « Le fort de la négociation est à Vienne, » écrit-il complaisamment dans ses mémoires ; il essayait de faire partager au roi ses illusions. Mais Torcy était sur ses gardes ; il déclina courtoisement les propositions de Sinzendorf, qui ne lui parurent pas sérieuses et qui ne l’étaient pas en effet. Sinzendorf n’insista pas, « dans la crainte, écrivit-il à l’empereur, de découvrir le jeu de Votre Majesté, au cas où elle n’aurait pas l’intention de souscrire au traité... et de donner lieu de croire que Votre Majesté ne cherchait qu’à gagner du temps ou à brouiller la France avec les puissances maritimes. » Sinzendorf discuta alors l’article 9 du traité, celui qui empêchait la réunion de la couronne d’Espagne sur la même tête que la couronne de France ou la couronne impériale. Torcy, avant de suivre son interlocuteur sur ce terrain, lui demanda si, dans le cas où l’empereur recevrait satisfaction sur cet article, il accepterait le reste du traité. Sinzendorf répondit qu’il n’avait pas d’ordres à cet égard, mais qu’il croyait à l’acceptation de son souverain.

Ou l’envoyé impérial était mal renseigné sur les intentions de son maître, ou il cherchait à les dissimuler, car au moment même où il donnait à Torcy cette espérance formelle, Léopold montrait pour le traité un éloignement de plus en plus marqué: il avait reçu d’Espagne des lettres qui le confirmaient dans ses illusions. Le roi, indigné de l’abandon de Guillaume III, affirmait qu’il voulait conserver ses états à la maison d’Autriche; la reine et son entourage veillaient avec soin afin d’éloigner les influences contraires. Léopold se persuada qu’il n’avait qu’à attendre en paix l’effet de ces heureuses dispositions. Le conseil était moins optimiste : il savait que plusieurs ministres espagnols, pour sauver l’intégrité de la monarchie, parlaient de se donner à la France : l’ambassadeur d’Espagne à Vienne, quoique partisan de l’Autriche, avait dit tout haut qu’à la honte d’un démembrement son pays préférerait u la dure extrémité de subir un prince français. » Mansfeld, Kaunitz étaient inquiets, ils insistèrent pour que l’on tînt compte de ces avertissemens, demandèrent que l’on prît au moins des mesures militaires, que l’on renforçât le corps allemand qui occupait la Catalogne, que l’on se préoccupât de l’Italie, que l’on prît enfin à l’égard de la France une résolution positive. L’influence fataliste de Léopold prévalut ; l’état d’esprit qu’elle inspira se peint dans cette conclusion caractéristique de la conférence du 28 juillet : Respondendum Sinzendorf, ita ut nec sit affirmativa aut negativa. Quant à Villars, on l’amusa avec de feintes confidences et des entretiens sans conclusion.