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Les nouvelles venues d’Espagne étaient vraies ; le roi surveillé de près par la reine, par son confesseur tyrolien, restait fidèle à ses sentimens autrichiens, mais dans le conseil de Castille, dans l’opinion publique, un travail tout différent s’était produit. Contrairement aux prévisions d’Harcourt et de la cour de France, la divulgation du traité de partage, loin de faire tomber le parti français, l’avait considérablement accru. Blécourt le constate avec surprise : « La déclaration, écrivait-il dès le 13 juin, a produit un effet tout contraire à ce qu’on pouvait en attendre. » l’opinion se tournait vers un petit-fils de France, comme vers le seul souverain assez fort pour maintenir l’intégrité de la monarchie : Porto-Carrero, habile à profiter des circonstances, avait fait prendre au conseil de Castille une délibération dans le même sens.

Pour combattre ce mouvement, Harrach s’était empressé d’affirmer que Louis XIV, lié par le traité de partage, avait déclaré qu’il refuserait au duc d’Anjou l’autorisation d’accepter la couronne. L’ambassadeur autrichien, en répandant cette nouvelle décourageante, n’oubliait qu’un point très important, c’est que Louis XIV avait subordonné son refus à l’adhésion de l’empereur au traité. Interpellé par Sinzendorf le 20 mai 1700 sur la question de savoir si, l’empereur souscrivant au traité, le roi de France accepterait l’offre de la couronne pour un prince français, Torcy avait catégoriquement répondu : Non, et le roi lui-même avait écrit à Villars quelques jours après : « Je ne m’engage à refuser les propositions que les Espagnols pourraient faire à l’un de mes petits-fils qu’en cas que l’empereur ait signé et ratifié le traité. » l’engagement était formel, j’ajoute qu’il était sincère : il était la conséquence naturelle de toute la politique suivie par Louis XIV depuis trois ans. On peut affirmer que, si l’empereur d’Autriche avait accepté le traité, Louis XIV eût refusé la couronne d’Espagne pour son petit-fils. Sinzendorf n’en doutait pas et revient plusieurs fois dans ses dépêches sur les déclarations satisfaisantes qu’il avait reçues. Mais la réserve faite par le roi n’était pas moins formelle et l’engagement qu’il prenait n’était valable qu’autant que l’empereur de son côté se fût engagé à ne réclamer, de la succession espagnole, que la part assignée à son fils par le traité. La cour de Vienne ne l’ignorait pas, mais elle avait intérêt à ce qu’à Madrid on crût le contraire. Son ambassadeur s’y employa activement. Inquiet, Porto-Carrero s’adressa à Blécourt et lui demanda s’il était vrai que le roi eût fait la déclaration que lui prêtait Harrach : le roi lui fit répondre le 15 juillet que « l’empereur n’ayant pas souscrit au traité, il n’était pas encore temps de faire cette déclaration. » Le cardinal, rassuré par cette réponse, se joignit à ceux qui, pour un motif tout différent, dissuadaient l’empereur de s’engager avec les puissances alliées, et ce