Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/328

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

passe à une autre famille. Nos inscriptions montrent que le propriétaire actuel n’est presque jamais le descendant de celui qui a donné le nom. La famille de l’ancien propriétaire n’est plus là; mais son nom est resté. Il n’est pas tout à fait sans exemple que le propriétaire nouveau change le nom de sa terre ; mais ces exemples sont rares ; la persistance du nom ancien est la règle ordinaire.

Cet usage des noms de terres, qui paraît avoir été fort ancien dans la société romaine, s’est conservé pendant les cinq siècles qu’a duré l’empire. On le retrouve encore au moment où cet empire finit. Les lettres de Symmaque et celles de Cassiodore montrent qu’au Ve siècle chaque domaine a encore son nom propre. Plus tard, nous retrouverons la même chose dans les lettres de Grégoire le Grand, dans les chartes de l’église de Ravenne, dans le Liber pontificalis de l’église de Rome. Il en est ainsi en Gaule. Sidoine Apollinaire, dans ses lettres, a souvent l’occasion de mentionner ses propriétés ou celles de ses amis. Nous voyons qu’un domaine de la famille Syagria s’appelle Taionnacus, celui de Sidoine Avitacus, celui de Consentius, son ami, s’appelle ager Octavianus, celui de son parent Apollinaris a nom Voroangus, et celui de son ami Ferréolus s’appelle Prusianus. De ces noms les uns sont tout à fait latins, les autres ont une racine celtique ; mais presque tous sont, comme en Italie, des noms d’hommes auxquels s’ajoute la désinence de l’adjectif. Un peu plus tard, les chartes nous montreront des domaines de Gaule qui s’appellent Albiniacus, Solemniacensis, Floriacus, Bertiniacus, Laliniacus, Victoriacus, Pauliacus, Juliacum, Attiniacum, Cassiacus, Gaviniacus, et une foule d’autres semblables. Ces noms, dont le radical est le plus souvent latin, datent certainement de l’époque impériale. Ils ne signifient pas que des Italiens soient venus s’emparer du sol ; mais ils témoignent que les Gaulois propriétaires avaient d’abord adopté pour eux-mêmes des noms latins et avaient ensuite attaché ces noms à leurs terres. En Gaule, aussi bien qu’en Italie, ce sont les noms de propriétaires qui ont fait les noms de propriétés. Dans la suite, ces noms de propriétés sont devenue les noms de nos villages. On aperçoit bien la filiation. Les propriétaires primitifs s’étaient appelés Albinus, Solemnis, Florus, Bertinus, Latinus ou Latinius, Victorius, Paulus, Julius, Atinius, Cassius, Gabinius, et c’est pour cela que nos villages s’appellent Aubigny, Solignac, Fleury, Bertignole, Lagny, Vitry, Pouilly, Juilly, Attigny, Chassey, Gagny.

Nous devons faire grande attention à cette habitude qu’avait la société romaine d’attacher à chaque propriété rurale un nom propre. Ce nom donna au domaine une sorte de personnalité. Il en fit un