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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/327

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qu’il portait. Il est visible que ce nom lui était attaché d’une manière assez constante pour suffire à le désigner clairement.

Les inscriptions donnent lieu à la même remarque. Dans l’une d’elles, qui est du temps de Domitien, un homme fait une donation de quatre propriétés ; il les appelle par leurs noms : Junianus, Lellianus, Pescennianus, Statuléianus. Dans une autre, un personnage, parlant d’un aqueduc qu’il a fait construire, énumère toutes les propriétés qu’il traverse : l’Antonianus, le Balbianus, le Phélinianus, le Pétronianus, le Volsonianus, le Serranus, la villa Calvisiana. D’autres inscriptions encore nous donnent des listes de propriétés. L’une d’elles présente la longue nomenclature de plus de trois cents immeubles de la petite cité de Véléia en Cisalpine ; chacun d’eux a son nom. Une autre nous donne cinquante-deux noms de terre pour une petite ville de Campanie, et la liste est fort incomplète. L’inscription de Vulcéli énumère par leurs noms soixante-deux propriétés rurales. Notons que, parmi ces propriétés, il en est de très petites. On en voit dont la valeur, marquée par l’inscription, ne dépasse pas 15,000, 8,000, 4,000 sesterces, c’est-à-dire de 4,000 à 1,000 francs de notre monnaie; elles ont pourtant leur nom propre comme les autres.

Ces noms de terres ne sont presque jamais des noms géographiques. Jamais ils ne sont empruntés à une rivière, à une montagne, à un accident du terrain. Ces noms ne sont même pas pris à l’agriculture; jamais ils ne sont tirés de noms d’arbres, de plantes, d’animaux. Ils sont toujours, à très peu d’exceptions près, formés par un radical qui est un nom d’homme, auquel on ajoute la désinence d’adjectif qui marque la possession[1]. Par exemple, ces domaines s’appellent Manlianus, Térentianus, Gallianus, Sempronianus, Avitacus, Postumianensis. Il est visible, d’ailleurs, dans les inscriptions où ils sont cités, que ces noms ne sont pas ceux des propriétaires actuels. Car, à côté du nom de chaque terre, l’inscription marque le nom de l’homme qui la possède ; et les deux noms sont toujours différens. C’est que le nom de la terre vient de plus loin. Il est le nom d’un propriétaire primitif. Il a été donné au domaine par celui qui a constitué ce domaine le premier, par celui qui y a fait les plantations et constructions utiles, par celui qui en a tracé et consacré les limites. Il y a eu là comme une sorte de fondation, et, dans les idées anciennes, ce premier propriétaire ressemble quelque peu à un fondateur de ville. Aussi son nom reste-t-il attaché à cette terre. Ce nom persiste même quand la terre

  1. Il y a quelques noms tirés de noms de peuples, comme le Laurentianus et le Tuscus de Pline; mais ce cas est rare.