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acquérait ou paraissait acquérir, il ne l’acquérait que pour son maître. Il est vrai que nous voyons dans le Digeste que ce même esclave, qui ne pouvait pas hériter de son propre père, pouvait être institué héritier par n’importe quel homme libre. Mais cela signifiait que le maître de cet esclave acquérait par lui tout l’actif d’une succession. Cette sorte d’institution d’héritier était une fiction légale. Quant à tester lui-même, l’esclave n’y devait pas songer, à moins que des maîtres aussi indulgens que Pline le jeune ne l’y eussent autorisé. Mort, son pécule appartenait de plein droit au maître. Encore devons-nous bien comprendre l’idée qui s’attachait à cette sorte de succession. Il ne s’agissait ici ni d’hérédité ni de legs; nul n’avait la pensée que le maître pût hériter de son esclave. Le maître, en saisissant le pécule, ne faisait que reprendre en sa main un bien qui n’avait jamais cessé d’être à lui.

Telle était la condition sociale des esclaves. Regardons-les maintenant sur le domaine rural. Le maître est propriétaire de ses esclaves comme de sa terre. Il emploie les uns à cultiver l’autre. La troupe d’esclaves qui occupe un domaine s’appelle familia. Ne croyons pas que l’emploi de ce mot impliquât quelque pensée morale ou charitable ; ce serait une erreur ; le terme familia, dans l’ancienne langue latine, signifiait un patrimoine, un corps de biens, un ensemble de meubles ou d’immeubles, où l’esclave avait naturellement sa place. Cette troupe se divisait en deux parties bien distinctes, que la langue appelait familia urbana et familia rustica, La première de ces expressions s’appliquait, non pas à des esclaves vivant à la ville, mais à ceux des esclaves du domaine qui étaient occupés au service personnel du maître. Ainsi, la maison de campagne pouvait contenir des valets de chambre, des cuisiniers, des chasseurs ou veneurs comme ceux dont par le Pline, des courriers, des secrétaires, des copistes ; tout cela formait, même à la campagne, la familia urbana. La familia rustica comprenait tous ceux qui étaient employés à faire valoir la terre.

Déjà le vieux Caton avait fait le calcul du nombre d’esclaves qui étaient nécessaires à une exploitation rurale, suivant l’étendue et suivant le mode de culture. Pour 240 arpens d’oliviers, il avait compté qu’il n’en fallait que 13. Il en fallait 16 pour 100 arpens de vigne. Pour les terres en labour, un autre agronome, Saserna, comptait douze hommes pour 100 arpens. Ces chiffres sont dignes d’attention. Nous ne pensons pas que la culture libre de nos jours emploie autant d’hommes sur la même étendue. Saserna compte quatre jours de travail d’esclave pour labourer 1 arpent de 25 ares. L’esclave ne fournissait donc pas un travail très intense. Ajoutez à cela que, suivant le même écrivain, il fallait compter treize jours de repos sur quarante-cinq. Quoi qu’il en soit, nous voyons que