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l’usage ordinaire était que chaque esclave eût à cultiver 6 arpens en vigne ou 8 arpens en labour. Retenons ces chiffres ; nous les retrouverons à une autre époque.

Une expression nous frappe dans les textes anciens. Les esclaves qui cultivent un domaine sont appelés instrumentum fundi. Quand Varron et Columelle se servent de cette expression, ils ne veulent pas dire que l’esclave soit un instrument dans le sens moderne du mot, c’est-à-dire une sorte d’outil matériel et inanimé. Comment auraient-ils cette pensée, eux qui, dans leurs écrits, recommandent de traiter l’esclave en homme, d’avoir pour lui, non-seulement des ménagemens et de la pitié, mais « des égards, de la familiarité, » et même « d’écouter ses avis » au sujet de la culture ; eux enfin qui, sur quarante-cinq jours, lui en laissent treize? c’est que, dans leur langue, le mot instrumentum ne signifie pas instrument; il désigne ce qui « garnit » le domaine. L’esclave figure naturellement dans « la garniture du fonds, » puisque sans lui le fonds ne serait pas cultivé. Varron écrit : « La garniture d’un domaine est de trois sortes ; elle comprend les outils, les animaux, et les esclaves. » Les jurisconsultes disent la même chose en d’autres termes. Lorsqu’un testateur léguait un domaine, il pouvait à son choix le léguer garni ou non garni, instructum ou non instructum ; et, sans doute, il en était de même dans la vente. Lorsqu’un domaine était vendu ou légué « garni, » les esclaves y étaient nécessairement compris; ils passaient donc, avec la terre, au nouveau maître.

Pour surveiller et gouverner les esclaves d’un domaine, il fallait un chef. Le maître n’était pas toujours là. Il avait, lui citoyen, autre chose à faire qu’à diriger ses laboureurs. Il était soldat pour la cité, et faisait souvent campagne. En temps de paix, il devait passer bien des journées aux comices pour entendre des discussions de lois ou prendre part au travail assez long d’une élection. Il lui fallait passer d’autres journées au tribunal, soit comme juge, soit comme avocat, soit comme plaideur. S’il était magistrat, toute son année était donnée gratuitement aux affaires publiques, et il devait ensuite aller gouverner une province. S’il était sénateur, les jours de séance étaient nombreux, surtout sous l’empire. Dans la société romaine, tout le monde travaillait fort, les citoyens comme les esclaves. Seulement, le travail était partagé : aux esclaves, le labeur matériel de la main ; aux citoyens, la lourde charge du travail public et le service militaire.

Il était donc nécessaire que sur chaque domaine rural il y eût un représentant du maître. Or, le premier point à noter ici, c’est que ce chef des esclaves était toujours, lui aussi, un esclave. Il y avait pour cela deux raisons. D’abord, s’il avait été homme libre, chaque levée militaire l’aurait enlevé au domaine ; l’esclave seul était complètement