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la gamme naturelle. Dans le mineur, cet intervalle est d’un ton et demi seulement; telle est la gamme naturelle en la Quand la gamme majeure est sans accidens, c’est-à-dire, par exemple, exécutée uniquement sur les touches blanches du piano, elle est appelée diatonique ; c’est un mot grec signifiant qu’elle passe de note en note sans altération. Notre gamme mineure est mixte, altérée et pour ainsi dire hybride : sa partie inférieure du la au fa est diatonique, sa partie supérieure est chromatique, mot qui veut dire coloré. En la montant, on élève le sol d’un demi-ton afin d’obtenir ce qu’en termes du métier on appelle une sensible. Je rappelle ces faits élémentaires, parce que toute notre musique savante est construite avec ces deux matériaux. Les dièses et les bémols dont on arme souvent la clé dans notre écriture musicale et qui semblent un mystère pour les non-initiés, n’introduisent pas un élément nouveau dans la gamme ; ils ne font que déplacer le chant en le mettant un peu plus haut ou un peu plus bas, suivant la portée de la voix ou des instrumens ; mais l’air reste majeur ou mineur. Cette règle a été universellement suivie dans la construction des mélodies modernes ; les musiciens s’en sont bien rarement écartés, quelquefois pourtant : ainsi la chanson du Roi de Thulé, dans le Faust de Gounod, n’est pas en mineur ; si on la chante dans le ton naturel en la le sol n’a pas de dièse. Il en est de même du chant des fossoyeurs dans le Hamlet d’Ambroise Thomas. Beethoven et d’autres grands compositeurs avaient donné des exemples analogues. Mais ce sont là de rares exceptions, où l’emploi de modes autres que le majeur et le mineur a toujours eu pour but de produire des effets déterminés que ces deux modes n’auraient pas aussi bien rendus.

Ce qui a le plus contribué au progrès de notre musique, ç’a été la science qu’on nomme harmonie, science qui paraît entièrement moderne. Quand deux séries de notes sont émises en même temps, elles ne s’accordent que sous certaines conditions, parce qu’en vertu des lois de l’acoustique toute note ne va pas avec toute autre note, mais seulement avec quelques-unes. L’art de faire accorder des sons différens pendant toute la durée de deux séries mélodiques est la base de l’harmonie; la science se complique s’il y a trois ou plusieurs séries marchant ensemble vers une terminaison commune. Les exigences de l’harmonie ont, par contre-coup, conduit les compositeurs à l’emploi exclusif des deux modes ; le travail s’est concentré sur eux parce qu’ils étaient faciles à harmoniser et qu’en promenant la mélodie sur les différens degrés de l’échelle on obtenait une grande variété d’effets. Ces effets étaient accrus par le passage d’un ton à un autre et par d’ingénieuses combinaisons des deux modes adoptés.