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fantaisie des musiciens ; car la musique d’église et les chants populaires des Hellènes offrent encore des gammes chromatiques et enharmoniques avec des quarts et des tiers de ton. Ces petits intervalles appartiennent au génie populaire ; ils en sont le produit spontané, et c’est de la bouche du peuple qu’ils ont passé dans les théories savantes. Il y a pour nous un grand intérêt à lire ceux de ces chants qui sont écrits et à recueillir ceux qui ne le sont pas. » Nous nous habituons à juger les choses de notre point de vue étroit et exclusif ; nous croyons mal faites celles qui ne sont pas faites suivant notre mode et nous nous privons ainsi, non-seulement de documens utiles pour l’histoire de l’art, mais de sources nouvelles d’inspiration et de jouissance. J’ai dit que le Désert, dont le succès a été si grand et si prolongé, se compose en partie de motifs empruntés à l’Orient, et pourtant F. David a souvent modifié ces mélodies pour les ramener au majeur ou au mineur et les soumettre à l’harmonie. S’il les eût laissées strictement dans les modes où l’Orient les chante, l’effet eût sans doute été plus grand encore et les sources orientales de la musique couleraient aujourd’hui chez nous.

Le monde asiatique est rempli de mélodies populaires fort originales, d’airs pour les instrumens, de marches et de danses. Je ne veux pas m’étendre sur ce sujet si peu connu. Je dirai seulement que dans l’Inde, comme dans l’ancienne Grèce, les gammes usitées parmi le peuple ont été de bonne heure systématisées ; que le système musical comprend un grand nombre de modes autres que le majeur et le mineur et qu’à chacun de ces modes préside une divinité : c’est une sorte de muse ayant sa fonction musicale déterminée. On voit par là quelle importance ce peuple de race aryenne attachait, lui aussi, à la théorie et à la pratique de l’art musical.

De la Grèce l’art musical passa à l’Italie. La Sicile et l’Italie du sud, jusque dans le voisinage de Rome, étaient occupées par des Grecs, dont les arts étaient identiques à ceux de la mère patrie. Quand la civilisation hellénique pénétra dans Rome et dans le nord de la péninsule, elle y trouva sans doute des élémens musicaux, des rudimens non encore développés. Avec le temps, le génie musical de l’ancienne Italie fit son évolution. Seulement, il n’eut pas à se montrer créateur, parce que la Grèce l’avait précédé et lui apportait une théorie complète, avec des modèles dans tous les genres. Mais il se forma dans Rome des centres d’exécution, des sociétés de virtuoses qui, avec le temps, donnèrent naissance à des chœurs immenses. Néron avait cinq mille musiciens et chanteurs à son service. César avait fait entendre un chœur composé de onze mille chanteurs et instrumentistes ! Comme on ne pratiquait pas l’harmonie, du moins au sens où nous l’entendons, ces masses