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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/365

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de plusieurs païens, nous connaissons ce qu’étaient ces chants primitifs de l’église. Il y en avait de deux sortes : les psalmodies et les antiphonies. Les psalmodies ressemblaient à des récitatifs assez monotones ; on peut s’en faire une idée par les Lamentations que l’on chante pendant la semaine sainte et probablement aussi par les cantilènes de psaumes que l’on exécute dans nos églises à tous les offices du soir. Les antiphonies (mot qui, en français, est devenu antienne) étaient une conception plus musicale; elles étaient exécutées par deux chœurs chantant alternativement. Les cantilènes psalmodiques tiraient vraisemblablement leur origine des cérémonies hébraïques ; le soir de la pâque, Jésus chanta en hébreu le psaume In exitu Israel. Tout le reste de la musique des chrétiens de langue latine procédait de la musique gréco-romaine; elle en avait adopté les modes diatoniques, auxquels s’était déjà ajouté notre mode majeur, peu différent du lydien. Mais elle ignorait le mineur ; elle n’employait pas le genre chromatique, ni à plus forte raison l’enharmonique avec ses quarts de ton. C’était donc une musique virile, nullement pleureuse, tendant à affermir les cœurs, non à les efféminer. Dans ces jours de lutte et de souffrance, on ne devait ni s’apitoyer ni gémir ; il n’y avait pas non plus de plaisirs mondains, la vraie joie était dans le martyre et la douleur; point de colère, ou, si elle se faisait jour, elle était aussitôt réprimée. À ces âmes fortes et tendres les modes diatoniques pouvaient seuls convenir. Enfin, nous savons que de bonne heure les instrumens à cordes étaient bannis des assemblées chrétiennes ; la raison qu’on donnait de cette exclusion était l’abus qu’en faisaient les païens dans leurs concerts, leurs théâtres et leurs exercices voluptueux. On trouvait aux sous de la cithare une mollesse et une frivolité que les chants des catacombes repoussaient. Le son des instrumens à vent ressemblait davantage à la voix humaine et convenait mieux à la prière. Depuis lors, les instrumens à cordes sont rentrés dans les églises latines ; mais les églises grecques ont banni tous les instrumens.

La musique des chrétiens n’a pas dû être de grand appareil tant que leur religion a été confinée dans le secret des cimetières souterrains. A l’époque de Trajan, l’administration romaine n’avait encore sur leurs exercices cachés que des renseignemens assez vagues. Pline le jeune fut chargé de faire là-dessus une enquête en Asie-Mineure. A Rome, le chant ne pouvait s’exécuter que timidement et, pour ainsi dire, à demi-voix, il n’en fut plus de même à partir de 324, année où Constantin reçut le baptême des mains du pape Sylvestre. La religion chrétienne parut dès lors au grand jour ; elle eut des églises, des cérémonies pompeuses, des chœurs et des chantres en quelque sorte officiels. Peu après, au rapport de saint