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Augustin (Conf., IX), saint Ambroise introduisit dans son église de Milan le chant des hymnes et la manière de chanter des Orientaux, c’est-à-dire le chant strophique emprunté aux poètes grecs et latins et les airs fleuris favorables au déploiement de la « virtuosité. »

Dès lors aussi, l’exécution musicale disposa de deux puissans organes, les fidèles et le chœur ; nous devons ajouter l’orgue, depuis longtemps employé dans les concerts païens. Les fidèles, debout dans la nef, fournirent d’énormes masses chorales, moins exercées que les chanteurs profanes, mais pleines de foi. Ces masses chantaient à l’unisson et à l’octave ; elles comprenaient des voix de tout diapason, des hommes, des enfans et des femmes. On peut se rendre compte de l’effet qu’elles produisaient par ce qui se passe encore aujourd’hui dans nos églises, surtout dans les campagnes et les petites villes, où certains morceaux sont exécutés par le peuple tout entier. La foi, il est vrai, fait chanter, mais elle ne fait pas chanter juste et selon les règles de l’art. Aussi, la musique exécutée par le peuple des fidèles ne pouvait consister qu’en mélodies très simples ou fortement rythmées, en psalmodies et en hymnes. Seulement l’antiphonie intervenait comme élément de variété, en partageant le peuple en deux chœurs et le chant entre deux ou plusieurs modes alternatifs. Depuis l’origine, le chant alterné n’a jamais cessé dans l’église latine ; il existe encore çà et là, même en France ; j’ai entendu exécuter de cette façon dans une église de Normandie le Magnificat et l’In exitu : l’allée du milieu partageait les assistans en deux chœurs ; l’un chantait en (mode phrygien), l’autre disait en la (mode hypodorien) le verset suivant sur un autre air. C’était bien l’antiphonie, ou opposition des voix des anciens chrétiens. L’effet était grandiose ; il y manquait pourtant une chose, le rythme fourni par l’accentuation des mots latins, et la mesure, base de toute musique.

Je ne crois pas que ces grands chœurs populaires aient pu apprendre une musique élégante, composée de phrases étudiées et savantes ; le nombre des personnes en état de rendre une telle musique a toujours été très petit, aussi bien chez les anciens que chez nous. La manière de chanter les psaumes chez les premiers chrétiens n’a pas pu différer notablement de celle d’aujourd’hui. Mais ils possédaient deux élémens musicaux qui, depuis, ont été peu à peu perdus : l’alternance des modes et l’accent tonique du latin. Dans nos offices, les antiennes sont des morceaux très courts placés avant les psaumes ; la cantilène du psaume, qui se répète tant de fois sans interruption, efface l’antienne par sa monotonie. En outre, pour mettre ces cantilènes dans le diapason du plus grand nombre des voix, on crut devoir les transposer et, par ce déplacement, on détruisit l’effet produit jusque-là par le contraste des modes. Quant