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devienne nécessaire, ou jusqu’à ce qu’elles aient suffisamment grossi pour donner lieu à un placement définitif. Ce ne furent point les artisans, les domestiques, les ouvriers qui devinrent les principaux cliens de la caisse d’épargne postale : ce furent les petits boutiquiers, auxquels elle offrait les mêmes facilités de retrait qu’un compte de chèques avec un intérêt sensiblement plus élevé, et qui y mirent en pension l’argent destiné à l’acquittement de leur loyer ou de leurs échéances ; ce furent aussi les maisons de commerce, qui trouvèrent plus commode et plus économique de remettre à leurs commis-voyageurs un livret de caisse d’épargne que de leur confier des sommes relativement importantes, ou que d’avoir à leur faire des envois de fonds. Le commis-voyageur se trouve-t-il à court d’argent, il renvoie son livret comme papier d’affaires chargé, et quarante-huit heures après il le reçoit par la même voie avec l’inscription d’un nouveau versement; au moyen de ce procédé et d’une dépense de quelques centimes, la maison s’épargne les frais et les risques d’une expédition d’argent, ou d’un mandat, ou d’une lettre de crédit. Tel n’est point, assurément, le but des caisses d’épargne. En même temps, la rude tâche des agens des postes, déjà chargés de recouvrer les traites de commerce, de faire faire des protêts, de recevoir les abonnemens aux journaux, a été compliquée d’une nouvelle et ingrate besogne, tout à fait étrangère à leur fonction, qui est d’assurer l’exacte et rapide transmission des correspondances. On s’est contenté de copier servilement l’organisation anglaise, sans remarquer que, chez nos voisins, force avait été de s’adresser aux agens des postes, les seuls comptables qui relèvent du gouvernement. Si l’on croyait utile de multiplier les caisses d’épargne, il était plus naturel et plus logique de charger de ce nouveau service les percepteurs, qui sont aussi nombreux que les receveurs des postes, et qui sont plus familiers avec les calculs d’intérêts et avec le maniement des fonds. Toutefois, ce n’est pas au point de vue de son organisation plus ou moins intelligente et de son fonctionnement que nous critiquons cette institution bâtarde : c’est au point de vue des périls qu’elle crée au trésor public en faisant disparaître l’intermédiaire interposé entre l’état et les déposans et en rendant le trésor directement responsable d’une dette immédiatement exigible ; tout livret de la caisse d’épargne postale est une traite à vue sur une caisse publique que le ministre des finances a le devoir de tenir toujours suffisamment garnie.

Grâce aux facilités offertes aux déposans et portées à leur connaissance par un système de réclames aussi bruyant que dispendieux, les fonds arrivèrent d’abord avec abondance, et l’on assista à un double entraînement, l’affluence de l’argent conduisant à multiplier les dépenses, et les dépenses obligeant, à leur tour, à multiplier