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de deux nouveaux pas dans l’irrégularité financière et parlementaire. La chambre aborda si tardivement la discussion de ce budget et la prolongea tellement que le sénat aurait dû voter la loi de finances, non plus en trois jours comme en 1883, mais en une seule séance. Cette assemblée se refusa catégoriquement à exécuter ce tour de force. Une loi votée d’urgence ouvrit au gouvernement un crédit égal au revenu d’un trimestre : on voulut à tout prix éviter de se servir du mot de douzièmes provisoires, mais si l’on n’eut pas le nom, on en eut la réalité. On était acculé, en pleine tranquillité publique, à l’expédient des jours de détresse nationale.

Le second fait était jusque-là sans précédent aucun dans notre histoire financière. Le budget de 1885 n’était pas encore voté par la chambre lorsque, dans les derniers jours de novembre, M. Jules Ferry, président du conseil, présenta la demande d’un crédit extraordinaire de 45 millions, applicable aux dépenses de la guerre de Chine pendant le premier semestre de 1885. La continuation des opérations militaires et maritimes avait dû nécessairement être prévue depuis l’avortement des négociations avec la Chine : il était donc naturel et logique d’inscrire ces 44 millions au budget ordinaire de 1885, et rien ne s’y opposait puisque ce budget n’était pas encore voté. Si on voulait éviter de détruire un équilibre trop fragile, il fallait tout au moins les faire figurer au budget extraordinaire et doter ce budget d’une ressource équivalente : c’eût été mettre à néant le travail de Pénélope, auquel le ministre des finances et la commission du budget s’étaient livrés pendant de longs mois; c’eût été se condamner à faire voter encore une fois le budget avec un déficit avoué. Les 44 millions furent demandés et votés, en dépit de toutes les règles de la comptabilité et contre toute évidence, comme crédit extraordinaire au budget de 1885. Les crédits extraordinaires, tels qu’ils sont définis par notre législation financière, ont pour objet de solder des dépenses qui n’ont pu être prévues lors de l’adoption du budget. Il n’y avait ici rien d’imprévu et le budget n’était pas encore adopté. On vit donc, pour la première fois, un crédit extraordinaire voté avant le budget dont il était censé le complément.

Il est curieux de voir comment cet expédient, d’une entière nouveauté, fut accueilli par la commission sénatoriale des finances. Il était évident que ce crédit avait été laissé en dehors des deux budgets parce qu’on n’avait aucune ressource à mettre en regard. M. Dauphin annonça dans son rapport que ce crédit et ceux qu’il prévoyait encore, tant pour le Tonkin que pour Madagascar, feraient l’objet « de votes spéciaux sans autre imputation que sur les ressources générales du budget. » Cet euphémisme équivalait à dire qu’il faudrait emprunter cet argent. Le rapporteur soutenait, non sans quelque timidité, que ce mode était le seul possible, parce