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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/431

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dans le Midi « avec de l’argent. » Dès qu’il s’y serait recruté des partisans, il y serait rejoint par 6,000 Basques, qu’il disait disposés à répondre à son appel, et par 3,000 soldats étrangers placés sous le commandement d’un général français. Cette petite armée débarquerait aux Martigues. Le long des côtes, une flottille protégerait ses opérations. Le duc de Berry, parti de Naples avec de l’artillerie légère et des munitions, viendrait occuper le port de Cette pour assurer les communications avec l’Italie et l’Espagne. Il débarquerait à son tour, unirait ses forces à celles de Willot. Ils se porteraient sur Le Pont-Saint-Esprit, où ils s’empareraient de la citadelle, pousseraient ensuite jusqu’à Saint-Étienne pour tendre la main aux Lyonnais. Alors, on tiendrait tout le Midi. Comme, en même temps, le comte d’Artois se serait emparé de Saint-Malo et de Lorient, Dumouriez de Cherbourg, Pichegru de Besançon, le gouvernement républicain, cerné de toutes parts, serait perdu. Avec la précision de son esprit, son expérience des choses militaires, Dumouriez voyait dans l’exécution de ce plan, savamment combiné, un moyen certain d’en finir avec les ennemis du roi, de rétablir celui-ci sur son trône et d’épargner à la France une invasion étrangère, car il suffirait que les alliés restassent sur les frontières sans les franchir quoique sans cesser de les menacer, pour mettre les pouvoirs républicains à la merci de l’insurrection royaliste.

À ces vues, Willot, encore qu’il les eût inspirées et qu’il les partageât, présentait deux objections, l’une purement stratégique, l’autre tirée de raisons d’une autre nature, dont l’expression était comme un écho de son patriotisme affaibli ou aveuglé. Il ne voulait pas opérer le débarquement aux Martigues, « une crapaudière sans enceinte, » et Dumouriez lui conseillait alors de débarquer à Arles, où lui, Willot, comptait des partisans. Puis, il répugnait à admettre dans sa petite armée autre chose que des Français. « Mais, si vous n’avez que des Français, s’écriait Dumouriez, vous recommencerez la chouannerie, et nous devons l’éviter ; car c’est elle qui a tout perdu. » Il n’en fallut pas davantage pour dissiper les répugnances de Willot. Il se déclara prêt à combattre. Il ne s’occupa plus que de se ménager l’appui de Wickham auprès de la cour d’Autriche. Il quitta Hambourg pour se rapprocher de l’agent anglais et de Pichegru, avec lequel il voulait aussi se concerter.

En engageant Willot à rechercher le concours de l’Autriche plutôt que celui de la Russie, Dumouriez avait eu surtout en vue d’écarter un rival qui pouvait, en manœuvrant sur le même terrain que lui, entraver son action, lui susciter des difficultés. Mais il le poussait dans une voie funeste et stérile. Le cabinet de Vienne, on l’a déjà vu, se souciait peu des Bourbons. Sa politique avait pour base unique le désir de conquérir l’Italie et de s’agrandir en Allemagne.