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même objet. Le roi, dépouillé de toute initiative, de tout moyen d’action, se résigna à attendre les effets du voyage de Dumouriez.

À ce moment, la cour d’Autriche s’efforçait de retenir le tsar dans la coalition. Son ambassadeur à Saint-Pétersbourg, le comte de Cobenzel, s’ingéniait à calmer les colères de Paul Ier à dissiper ses défiances contre le cabinet de Vienne[1]. L’Angleterre, loin d’être découragée par la défection de son plus puissant allié, s’engageait plus avant contre la France, refusait la paix que Bonaparte lui faisait offrir, autorisait Wickham à renouer ses relations avec les royalistes de l’intérieur, à appuyer Willot et Pichegru de toute son influence.

Ces deux généraux vivaient aux environs d’Augsbourg, l’un à Gœgingen, l’autre à Leitershoff, à proximité de l’agence de Souabe, en relations quotidiennes avec ses membres. Les événemens qui venaient de s’accomplir à Paris avaient consterné Pichegru. Depuis son arrivée sur le continent, sa conduite était restée subordonnée aux résultats impatiemment attendus des négociations engagées avec Barras. La journée de brumaire, en mettant fin au pouvoir de ce dernier, emportait les folles espérances qu’avaient fait naître ces négociations parmi les royalistes. Elle laissait Pichegru en proie au plus sombre découragement, devant le vide des intrigues auxquelles il s’était associé, qui maintenant lui faisaient peut-être horreur. C’est sans conviction comme sans espoir qu’il parlait encore de la possibilité de tenir tête à Bonaparte.

Tout autre se montrait Willot. Les revers de la cause qu’il servait n’ébranlaient pas son énergie. Que la Russie abandonnât

  1. c’est le 13 novembre que Cobenzel avait fait connaître à sa cour la décision de Paul Ier. Il recevait aussitôt l’ordre d’agir pour modifier la volonté du tsar. Mais ce dernier, excité par les plaintes de Souvarof contre les généraux autrichiens, résistait à toutes les tentatives de Cobenzel. Dans ses lettres à Colloredo, celui-ci déplorait les maladresses commises par ces généraux. Il demandait à son gouvernement de se prêter aux fantaisies et aux caprices du tsar. Le 10 décembre, il écrivait : « A présent, sa grande marotte est l’ordre de Malte. Quelque ridicule, quelque illégal que soit tout ce qui s’est passé ici à cet égard, je crois qu’il n’y a pas à hésiter un instant pour nous d’y adhérer complètement et de nous faire même un mérite de notre complaisance. Il est surtout essentiel d’éviter avec le plus grand soin qu’il ne se passe rien, ni dans les pays héréditaires, ni partout où nous pouvons avoir de l’influence, de contraire aux intentions maltaises de la Russie. » En même temps, sur le conseil de Cobenzel, l’Autriche hâtait le mariage d’un de ses archiducs avec une des filles de Paul, pour rétablir l’alliance politique compromise. Mais ces efforts furent vains. Cobenzel usa son influence sans profit. En moins de six semaines, il ne lui restait rien de la faveur dont il avait joui auprès du tsar, et sa situation devenait si précaire qu’il demanda son rappel en disant: « La vie que je mène tient d’un exilé, d’un prisonnier et d’un proscrit. » (Voir la Correspondance politique du baron de Thugut, publiée à Vienne par M. de Vivenot.)