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cette cause, cela certes était douloureux, mais ne constituait pas, à son avis, un désastre irréparable, puisque l’Autriche, l’Angleterre, les autres alliés se montraient résolus à continuer la lutte. Lui-même n’attendait qu’un mot d’ordre pour tirer son épée du fourreau. Ce mot d’ordre, les membres de l’agence d’Augsbourg, d’André surtout, qui correspondait avec Wickham, le lui annonçaient. Il procédait aussitôt à ses préparatifs. Il expédiait sur divers points des émissaires chargés de lui recruter des soldats parmi les Français émigrés ou proscrits, disposés à entrer en France sous la protection de l’Autriche pour y former un parti, ou parmi les prisonniers que les alliés avaient faits depuis le commencement de la guerre. D’autres agens recevaient l’ordre de prendre connaissance des points de la frontière du Piémont les moins gardés par les armées de la république, d’établir des relations avec l’intérieur, de se procurer des armes, des munitions, des effets d’équipement. Willot ralliait autour de lui les officiers royalistes réfugiés en Suisse et en Italie ; il formait ses cadres de manière à être prêt en temps opportun. Enfin, comme on lui donnait l’espoir d’être appelé à Vienne pour conférer avec les ministres de l’empereur, il se disposait à partir.

C’est au milieu de ces circonstances que Dumouriez reçut enfin l’autorisation de se rendre en Russie. Il se mit en route le 9 décembre, s’arrêta dans le Schleswig pour prendre congé du prince de Hesse, son protecteur[1]. Il lui promit de plaider auprès du souverain moscovite la cause du Danemark. « Il est ivre de joie, écrivait Thauvenay en annonçant son départ ; il adore la personne du roi.» Le 5 janvier, il était à Mitau. L’accueil de Louis XVIII se ressentit du prestige que donnaient à Dumouriez la protection avouée du tsar et le rôle auquel on le croyait appelé. Le prétendant, dans l’audience qu’il lui accorda, ne fit au passé aucune allusion déplaisante ; mais il ne cacha pas ses inquiétudes. L’attitude des grandes cours ne permettait pas de croire à la durée de la coalition. L’isolement où vivait le roi, sa pauvreté, ajoutaient à la morne tristesse causée par l’abandon dont il était l’objet. Dumouriez, impressionné par le spectacle de cette royale misère et plus encore par ce qu’il surprit d’ignorance et d’illusions parmi les courtisans, n’en laissa

  1. Le 12 décembre, le prince de Hesse écrivait au prince Frédéric, régent de Danemark : « J’ai d’abord à vous communiquer un grand secret, mon très cher. Dumouriez est venu hier à Louisenland pour prendre congé de moi. Il va à Pétersbourg, sur l’ordre et le désir de l’empereur Paul Ier, qui probablement veut se servir de lui et certainement le questionnera et voudra avoir son opinion sur l’état actuel de la France. Il a été extrêmement ému à propos de notre séparation. Il a pleuré comme un enfant et m’a témoigné la plus vive gratitude de la sympathie que je lui ai montrée.» Et le 21 décembre : « Dumouriez rendra sûrement à vous et au Danemark tous les bons services qu’il pourra. S’il a de l’influence, là ou de nouveau en France, vous pourrez toujours et sûrement compter sur lui. »