Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/449

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

accorderez peut-être votre estime. » N’était la gravité de nos personnages, on serait tenté de se demander si Paul Ier et son ministre ne se moquaient pas de Dumouriez. Au moment où ils lui annonçaient ces « projets dignes de son estime, » le tsar venait d’expulser de ses états Louis XVIII ; à Paris, son ambassadeur négociait la paix avec Bonaparte. C’était une politique nouvelle qui ne laissait aucune place aux idées que Dumouriez avait propagées et défendues et les condamnait à l’oubli comme elles l’y condamnaient lui-même[1].


III.

Pendant que Dumouriez accomplissait cet humiliant voyage de Saint-Pétersbourg, le général Willot était resté à Goegingen, en Souabe. Il s’y trouvait encore à la fin du mois de février, s’occupant des préparatifs de son entrée en campagne, s’attendant à être, d’un moment à l’autre, appelé à Vienne. En dépit de ses efforts, l’entreprise à laquelle on l’a vu se consacrer n’avançait guère. Donnant lieu à d’actifs pourparlers, mais entravée par les discussions passionnées qui s’élevaient entre Willot et les membres de l’agence de Souabe, elle faisait éclater des dissentimens profonds, d’ardentes rivalités propres à favoriser les imprudences et les délations. Si le plan du Midi « prenait couleur, » comme disait Saint-Priest, c’était dans l’imagination de ses promoteurs bien plus que dans la réalité. Les difficultés naissaient incessantes. C’est en vain que de Mitau le roi essayait de les aplanir.

Par une ordonnance arrivée à Augsbourg le 23 février, il avait conféré à Willot des pouvoirs pour agir dans les provinces méridionales. Sous les ordres de ce général, d’André était investi des fonctions de commissaire civil dans le Dauphiné, la Provence, le Languedoc, le Vivarais, le Rouergue, la Gascogne, la Guyenne et la Saintonge. Il devait s’appliquer « à prémunir le peuple français contre la perfidie qui l’avait trompé afin de l’asservir. » En prévision du cas où sa présence serait nécessaire à Augsbourg, Cazalès, toujours attaché à l’agence de Londres, était désigné pour se rendre, en son lieu

  1. c’est à Ottensen, où il vivait, que l’archiduc Charles d’Autriche vint acheter les conseils de son expérience militaire, qu’il paya d’une pension de 3,000 florins. En 1803, Dumouriez était à Londres. Quels services y rendit-il? Probablement des services analogues à ceux qu’il avait rendus au prince de Hesse et à l’archiduc Charles. Une pension de 1,200 livres sterling en fut le prix. A Londres, il vit Pichegru. Ils discutèrent un plan d’invasion de la France. En 1805, il alla en Suède. Il rêvait d’allier contre l’empire toutes les cours du nord. En 1806, il revint en Angleterre. Le duc d’Orléans, en souvenir de leur ancienne amitié, ajouta à ses revenus une pension de 10,000 francs. Il mourut en Angleterre en 1823. Il avait quatre-vingt-quatre ans.