Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/479

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

raffermir la foi libérale de son éloquent ami : c’est un vrai drame entre deux nobles âmes. Qu’on relise aussi ce dialogue où un libéral se récrie contre les millionnaires en prétendant qu’on ne les aurait pas soufferts même sous l’ancien régime : « C’est bien pour cela, réplique la vaillante femme, qu’il faut les souffrir à présent… » Les Souvenirs du vieux duc de Broglie ne parlent que de sentimens nobles, d’idées d’équité et de droit, de croyances libérales, et c’est pour cela qu’ils sont plus que jamais un enseignement pour tous.


Au temps où l’auteur des Souvenirs était à la fois témoin et acteur dans ces scènes d’autrefois dont il rajeunit l’intérêt, la Grèce avait le privilège de passionner l’opinion, d’être la cause libérale et populaire. C’est pour l’insurrection hellénique que la diplomatie s’agitait, que des conférences se réunissaient, qu’on signait des protocoles et des traités. Bien des événemens se sont passés depuis soixante ans ; la Grèce n’a pas cessé d’avoir son rôle dans les démêlés orientaux. On l’a bien vu récemment, elle n’est plus seule, et les mêmes influences, les mêmes ambitions rivales ou alliées se rencontrent pour les mêmes questions d’équilibre dans la région des Balkans comme dans l’archipel hellénique.

Aujourd’hui, c’est la Bulgarie qui donne de l’occupation aux chancelleries avec ses révolutions et ses contre-révolutions, avec son prince qu’un coup d’état nocturne bannit, qui revient bientôt rappelé par son peuple pour abdiquer volontairement et définitivement cette fois. L’histoire est certainement curieuse, intéressante par elle-même, par cette aventure d’un prince à la destinée romanesque, intéressante aussi et de plus singulièrement grave par la situation compliquée qu’elle dévoile brusquement. En peu de jours tout a plusieurs fois changé de face dans ces étranges et mystérieuses affaires des Balkans. Tout est devenu extraordinaire et réellement assez dramatique. Un jour ou plutôt une nuit, ce jeune prince d’Allemagne qui est allé chercher fortune en Bulgarie, qui a été le héros de Slivinitza, se laisse enlever par quelques conspirateurs dans son palais et traîner en exil presque sans opposer de résistance ; le lendemain, arrivé en territoire autrichien, à Lemberg, il est rappelé par un mouvement populaire tout spontané, il cède à la tentation de revenir sur ses pas, et de nouveau, dans le pays bulgare, qu’il a quitté naguère en banni, il est reçu au milieu des ovations. Il retrouve un instant l’illusion du règne. A peine rentré dans son état cependant, il ne tarde pas à démêler, à travers les acclamations qui l’entourent, la gravité de la situation. Il sent surtout, il touche pour ainsi dire l’influence implacable qui visiblement n’a point été étrangère à sa déposition furtive et révolutionnaire du 21 août, qui le serre de toutes parts. Vainement alors il essaie de désarmer cette influence ; vainement le prince Alexandre a