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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/538

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Smolensk en 1812, qu’il ne pousserait la campagne à fond qu’en 1813. C’était, en effet, le premier projet de Napoléon : la fatalité l’avait emporté ! La catastrophe trompait, dépassait toutes les prévisions et, en surprenant l’Autriche, elle lui rendait tout à coup l’espoir d’un rôle dont elle ne pouvait pas même encore avouer la pensée. A la première nouvelle du désastre, ne sachant pas où était l’empereur, M. de Metternich expédiait un de ses affidés auprès du duc de Bassano qu’il supposait à Wilna, et il lui disait : « Notre auguste maître, en apprenant l’évacuation de Moscou, a exprimé en peu de mots le fond de ses sentimens et de sa politique. — Le moment est venu, a-t-il dit, où je puis prouver à l’empereur des Français qui je suis… » Quelle était la signification réelle de ce mot assez énigmatique, qui pouvait tout dire ou ne rien dire ? C’est ici que commence le nouveau drame où vont s’agiter les destinées de l’Europe entre Napoléon, l’Autriche et la coalition reconstituée par les premiers succès des Russes, drame où aux plus tragiques péripéties se mêle une fourberie supérieure.

On ne peut bien voir qu’aujourd’hui, après la divulgation des pensées les plus secrètes, la marche de M. de Metternich dans cette phase nouvelle de la grande crise. La situation que lui créaient les événemens aux premiers mois de 1813 était assurément compliquée autant que délicate ; elle devenait de plus en plus difficile à mesure que les Russes s’avançaient sur la Vistule et sur l’Oder, que la défection de la Prusse s’accentuait, que la guerre se rapprochait de l’Allemagne, et que l’Autriche, serrée sur ses frontières, se sentait prise entre tous les belligérans. M. de Metternich se révélait un maître dans l’art des évolutions au milieu de ces difficultés. Se dégager de l’alliance française sans la rompre ouvertement, au moins du premier coup, passer par degrés dans le camp de la nouvelle coalition sans se livrer à elle, sans subir sa loi, gagner assez de liberté et de temps pour refaire une armée autrichienne avec le noyau du corps de Schwartzenberg, pour pouvoir, à l’heure voulue, jeter 200,000 hommes dans la balance, c’était l’objet multiple de sa diplomatie. Au fond, il avait son programme, il avait fait son choix dans le secret de sa pensée, et il disait ces mots qui contenaient déjà toute sa politique : « L’insuccès de Napoléon contre la Russie a changé la situation de l’empereur des Français, ainsi que celle des autres puissances. — Le dénoûment pour l’Europe sera la paix. — Amener la paix, voilà la véritable tâche de l’Autriche. — Quelle voie faut-il suivre pour arriver à la paix, à la paix sérieuse ? .. Le seul moyen, c’est de faire rentrer la France dans des limites qui permettent d’espérer une paix durable et de rétablir l’équilibre politique entre les grandes puissances… » Il ajoutait aussi, précisant l’alternative où pouvait se trouver