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l’Autriche, d’entrer dans l’alliance des puissances du nord ou de se rapprocher de la France : « Cette dernière alternative ne saurait se réaliser ; mais nous pouvons prendre le premier parti. Le passage de la neutralité à la guerre ne sera possible que par la médiation armée… »

Ainsi, dès le premier jour, tout était prévu et calculé. La paix, une bonne paix allemande et européenne, reconquise sur la France ramenée à ses anciennes limites, c’était le but. Le procédé, pour l’Autriche, consistait à rentrer en scène par une « médiation armée, » prélude d’une alliance avec les puissances du nord contre la France, et, pour dire toute la vérité, le programme n’avait rien de nouveau. M. de Metternich l’avait conçu et tracé dès 1801, à son entrée dans la carrière. Il l’avait évidemment un peu oublié au milieu des prodigieuses transformations du temps. Il ne songeait pas à proposer son programme à l’époque où il était un brillant ambassadeur à Paris ; il ne l’avait pas dans son portefeuille lorsqu’il revenait, en 1810, dans le cortège d’une archiduchesse gravissant les marches du premier trône du monde. Il suffisait d’un désastre pour faire revivre le programme, les vieux ressentimens contre la prépotence française. Le malheur, en frappant Napoléon comme un autre, « avait courbé sa grandeur, » a dit M. de Ségur ; il avait perdu son prestige d’infaillibilité ! — On le jugeait ! » M. de Metternich, non sans quelque hardiesse, et, dans tous les cas, sans scrupule, voyait désormais l’occasion de reprendre le procès de l’Europe contre la révolution française par la révision « de tous les anciens traités conclus avec la république et avec Napoléon ; » mais plus la résolution arrêtée secrètement était grave, même dangereuse, plus le chancelier de Vienne sentait le besoin de s’envelopper de voiles, de déguiser sa marche sous les subterfuges. Après tout, l’Autriche était encore l’alliée de la France. Le corps de Schwartzenberg n’avait pas cessé d’être sous les ordres de Napoléon, et si l’empereur avait été atteint dans sa puissance, dans son prestige, il n’était pas à bas. M. de Metternich ne laissait pas de craindre les éclats de son génie, quelque prodigieux retour de fortune ; il ne doutait pas que, par un nouvel et gigantesque effort, Napoléon ne fût bientôt prêt à rouvrir la campagne en pleine Allemagne, et c’était assurément un danger de se démasquer trop tôt, surtout avant d’avoir proportionné ses forces aux résolutions dont on gardait encore le secret. De là toute une stratégie qui a quelque peu trompé l’histoire et les historiens, à en croire M. de Metternich lui-même, qui est ici le premier témoin de sa propre duplicité.

Suivons un instant ce curieux et obscur travail d’un politique qui, en définitive, a eu une action décisive dans la plus terrible