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côté, il est vrai, il avait ses intelligences au camp des alliés. Il soutenait la Prusse dans ses défections, il lui avait communiqué dès le mois de décembre 1812 son plan pour rejeter la France au-delà du Rhin. Il négociait avec la Russie, et au moment même où il avait encore avec M. de Narbonne ses conversations les plus intimes, il écrivait à M. de Nesselrode, qui était avec l’empereur Alexandre, en Silésie : « Je vous prie de me conserver amitié et surtout beaucoup, beaucoup de confiance. Si Napoléon veut faire la folie de se battre, tachez que l’on ne se démonte pas pour un revers ; une bataille perdue par Napoléon et toute l’Allemagne est sous les armes ! » A Paris, il s’étudiait à prolonger l’idée d’une alliance qu’il avait déjà brisée dans sa pensée ; au camp des alliés, il s’efforçait de faire prendre patience, d’inspirer la confiance ! Pendant ce temps, il armait sans repos, sans éclat. Il ralliait le corps du prince Schwartzenberg, à peine engagé dans la campagne de Russie, et le ramenait à travers la Galicie, en Bohême, où il allait être le noyau de toutes les forces militaires de l’empire. L’action, tout enchevêtrée, se déroulait dans l’obscurité sans que, dans la société viennoise, on y vit rien. Le secret de la comédie restait entre l’empereur François, qui, par crainte ou par scrupule, hésitait encore à rompre avec son redoutable « gendre, » et le ministre qui marchait patiemment, cauteleusement, à son but sans dévier.

Une comédie, ai-je dit, c’est le mot ! M. de Metternich ne s’en défend pas dans ses Mémoires ; il se fait même assez complaisamment un mérite d’une duplicité couronnée par le succès. Plus d’une fois, au milieu des vastes préparatifs de la nouvelle campagne sur laquelle il comptait pour relever sa fortune, Napoléon avait des doutes. Tantôt il gardait encore l’illusion d’un lien de famille qu’il croyait assez fort pour retenir son « beau-père, » l’empereur François ; tantôt, démêlant d’un regard perçant et ombrageux les manèges autrichiens, il essayait d’en avoir raison. Il multipliait les interpellations et les propositions. Il ne faisait, en réalité, qu’offrir à l’Autriche les occasions de se dégager par degrés, de passer en peu de temps de l’alliance active de 1812 à une neutralité suspecte, puis à la médiation armée. M. de Metternich ne prononçait pas d’abord le mot, il le donnait à entendre ; il mettait tout son art à se laisser presque porter par l’impatience de Napoléon lui-même à ce rôle de médiateur armé que son ambition convoitait depuis le premier jour, et rien n’est certes plus curieux que cette scène du mois d’avril 1813 où il se dévoilait devant M. de Narbonne. Le brillant ambassadeur de France était chargé de lui dire que, puisque l’Autriche voulait la paix, elle devait se décider, prendre une position nouvelle, mettre sous les armes, non plus les 30,000 hommes du corps de Schwartzenberg, mais 150,000 hommes, et, à la tête de ses forces,