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des crises, après avoir été placé pendant quelques mois, — janvier-juin 1813, — au milieu de toutes les passions contraires. Au premier moment, ce n’est pas douteux, M. de Metternich se gardait bien d’avouer sa pensée et ses desseins dans ses relations avec la France. Il mettait, au contraire, tout son art à désarmer les suspicions, à prolonger l’ambiguïté et les illusions. Il procédait tout au plus par des insinuations savamment ménagées, et s’il laissait voir déjà un changement de position en se prononçant pour la paix, — pour une paix dont il ne disait pas les conditions, — il accompagnait ses insinuations de toute sorte de protestations de fidélité et d’attachement à la cause commune. Il avait affaire en peu de temps à deux ambassadeurs chargés de représenter les intérêts de Napoléon à Vienne, M. Otto et M. de Narbonne : l’un, homme sage, méthodique, un peu dépaysé dans une si grande crise, mettant dans sa diplomatie plus de correction que de souplesse ; l’autre, politique à l’esprit fin et hardi, aux mœurs aristocratiques, traitant les affaires avec l’aisance mondaine d’un gentilhomme d’ancien régime, prompt à tout pénétrer et à tout précipiter. M. de Metternich, plus embarrassé peut-être avec M. de Narbonne qu’avec M. Otto, parce qu’il se sentait mieux deviné, jouait habilement son jeu avec l’un et avec l’autre, tenant successivement aux deux ambassadeurs le langage d’un ami qui affectait de provoquer les confidences, qui voulait être utile.

Lui parlait-on de l’alliance qui unissait les deux empires, il en parlait plus haut que son interlocuteur, il ne cessait de répéter que, si elle n’existait pas, il la proposerait, que c’était une alliance naturelle, nécessaire, préparée par la réflexion, imposée par le rapprochement des intérêts permanens, « autant que par l’union intime des deux familles impériales. » — Le pressait-on de dire les conditions qu’il mettait à la paix, objet avoué de sa politique, il répliquait qu’il y aurait sans doute quelques concessions à faire sur le grand-duché de Varsovie, sur les villes anséatiques, sur la confédération du Rhin, choses inutiles à la France, qu’au demeurant « si l’empereur voulait se contenter d’être trois fois plus puissant que Louis XIV, d’être le maître de l’Europe uniquement par l’influence de son génie, les difficultés seraient bientôt aplanies. » — Essayait-on de lui faire sentir l’aiguillon en lui disant que Napoléon allait rentrer en campagne, qu’il retrouverait la fortune et de nouvelles victoires, il se hâtait de répondre qu’il y comptait bien, qu’il avait besoin de compter sur les succès de l’empereur « pour ramener ses adversaires à la raison. » Il parlait toujours en ami dévoué ; il se représentait même comme une victime de l’alliance française, comme un homme menacé dans son crédit, peut-être dans sa vie par les passions guerrières qui s’agitaient déjà à Vienne. — D’un autre