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contre l’armée française ; dès la fin de juin, elle s’était liée avec la Russie et avec la Prusse à Reichenbach ; au courant de juillet, elle avait traité avec l’Angleterre. Les états-majors s’étaient rencontrés à Trachenberg pour débattre le prochain plan de campagne. Au moment où il se déclarait libre d’engagemens, il était déjà tout entier à la coalition. Il n’attendait que l’occasion. La lenteur calculée que mettait Napoléon à envoyer ses plénipotentiaires, puis des instructions à ses plénipotentiaires, pouvait être un prétexte ; elle n’était qu’un prétexte qu’il se hâtait de saisir. Comme il l’avait dit, le 10 août au soir, les plénipotentiaires français n’ayant pas encore des pouvoirs complets, la résolution était prise. Passeports, manifeste de l’empereur François, tout était expédié, et, à minuit, M. de Metternich faisait « allumer les signaux qu’on tenait tout prêts de Prague jusqu’à la frontière silésienne pour annoncer que tout était rompu, que les armées alliées pouvaient franchir la frontière de Bohême[1] ! »

La comédie était jouée ou, si l’on veut, l’évolution était complète. L’Autriche, habile à choisir son moment, portait à la coalition deux cent mille hommes. La face de la guerre était changée par cette défection qui préparait toutes les autres défections, saxonne, bavaroise, qui, du premier coup plaçait Napoléon dans un cercle de feu, entre l’armée autrichienne en Bohême, les Russes et les Prussiens en Silésie, les contingens alliés de Bernadotte arrivant par le nord. Le reste, on le connaît. C’est d’abord, il est vrai, la défense du lion repoussant victorieusement les coalisés devant Dresde ; mais c’est aussi, peu après, le désastre de Kulm qui déconcerte toutes les combinaisons de Napoléon et lui ravit les fruits de la victoire de Dresde. C’est l’échec de ses lieutenans sur la route de Berlin ; c’est bientôt la bataille des nations qui décide tout, — Leipzig ! C’est enfin la revanche de l’Europe hâtant sa marche sur le Rhin, et, après avoir été si souvent envahie, courant à l’invasion de la France ! M. de Metternich avait certes le droit de s’attribuer la belle part dans la fortune nouvelle de la coalition. Il le savait bien, il en avait l’orgueil ou la fatuité ; il se gonflait du sentiment de son rôle, et ce qu’il ne disait pas tout haut, il le disait dans l’intimité de sa correspondance avec sa famille.

A son père il écrivait : « Nos affaires vont bien… L’Europe sera sauvée, et je me flatte qu’on finira par ne pas m’en attribuer le plus

  1. Six années après, M. de Metternich, se retrouvant à Prague, écrirait dans son journal : « Prague, 9 septembre. — Je ne viens jamais à Prague sans que je croie entendre sonner minuit. Il y a six ans qu’à cette heure j’ai trempé ma plume dans l’encre pour déclarer la guerre à l’homme du siècle et de Sainte-Hélène et pour donner l’ordre d’allumer les signaux qui ont amené le passage de la frontière par cent mille hommes de troupes alliées… p (Mémoires, t. III, p. 308.)