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je réponde avec une entière franchise… La puissance de Napoléon est brisée, elle ne se relèvera plus… Le jour de la chute de l’empire, il n’y aura de possible que le retour des Bourbons venant reprendre possession de leur droit imprescriptible. Ils reviendront par la force des choses et conformément au vœu de la nation, qui ne saurait être douteux, selon moi. Jamais l’empereur François ne soutiendra un autre gouvernement que le leur[1]… »

L’entretien avait été des plus animés, il s’était prolongé jusqu’à minuit, et en quittant le tsar, avec la mission de soumettre le fameux plan à son souverain, M. de Metternich trouvait chez lui M. de Nesselrode, M. Pozzo di Borgo, qui, au récit de ce qui venait de se passer, l’encourageaient vivement à « tenir bon » contre des idées dont ils devinaient la source. Le lendemain, M. de Metternich revenait auprès d’Alexandre, autorisé par l’empereur François à aller jusqu’à la menace d’une retraite immédiate de l’armée autrichienne. « L’empereur, ajoutait-il, est opposé à tout appel à la nation ; un peuple ainsi consulté et délibérant en présence de sept cent mille baïonnettes étrangères serait dans une situation tout à fait fausse. D’autre part, l’empereur ne voit pas trop quel pourrait être l’objet de la délibération : le roi légitime est là ! » Devant cette résistance à laquelle s’associaient quelques-uns de ses conseillers, Alexandre cédait, déconcerté, mais non convaincu, et, en déclarant qu’il avait parlé selon sa conscience, il se bornait à ajouter : « Le temps fera le reste ; il nous apprendra qui des deux avait raison. » C’était sa phrase ordinaire quand il cédait, comme la tactique ordinaire du chancelier de l’empereur François avec lui était la menace de la retraite de l’armée autrichienne. M. de Metternich était donc décidé pour le retour des Bourbons avant que la question fût agitée publiquement. Il pouvait avoir l’air d’hésiter dans sa diplomatie officielle, se dérober par des faux-fuyans toujours nouveaux, multiplier les trames et abuser le malheureux M. de Caulaincourt par des paroles : il avait sa pensée dont il poursuivait la réalisation avec une ténacité calculée, cernant de toutes parts cette puissance

  1. On peut voir par là ce qu’il y avait de franchise dans les négociations qu’on affectait de tenir ouvertes avec Napoléon et ce que valent les assertions de Frédéric de Gentz, écrivant encore, le 11 avril 1814 : « .. Le vœu sincère du cabinet d’Autriche était de faire la paix avec Napoléon, de limiter son pouvoir, de garantir ses voisins contre les projets de son ambition inquiète, mais de le conserver, lui et sa famille, sur le trône de France… A partir de la rupture des conférences (de Chatillon), la politique du cabinet autrichien changea de fond en comble. M. de Metternich, en ministre habile, voyant que l’obstination de Napoléon ne lui laissait plus le choix des mesures et que le système qu’il avait longtemps combattu devenait le seul exécutable, résolut de se mettre à la tête de ce système. — Dépêches inédites du chevalier de Gentz, t. 1er, p. 72. — Par le fait et de son propre aveu, M. de Metternich n’avait pas tant tardé à se décider pour l’exclusion de Napoléon.