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pour voir quel chemin il avait fait rapidement, et il ne restait, — dit-il après avoir montré que toute paix qui maintiendrait Napoléon en lui enlevant ses conquêtes, ne serait qu’un armistice ridicule, — il ne restait que trois solutions possibles : le rappel des Bourbons, la régence jusqu’à la majorité du fils de Napoléon, l’élévation d’un tiers au trône de France. — Le bon droit aussi bien que la raison, l’intérêt particulier de la France aussi bien que l’intérêt général de l’Europe, tout parlait en faveur de la première solution. Aussi l’empereur d’Autriche n’eut-il pas d’hésitation à cet égard. » Voilà où il en était au moment où la question d’un gouvernement pour la France s’agitait, se précisait entre les alliés, et rien n’est plus significatif que la scène qui se passait à Langres entre M. de Metternich et l’empereur Alexandre.

La scène est certes curieuse, elle a été longtemps inconnue. On venait d’arriver à Langres, le 25 janvier 1814. On délibérait, les premiers jours, sur les opérations des armées, on commençait aussi à délibérer sur ce qu’on ferait au lendemain de la victoire définitive. L’empereur Alexandre, singulièrement agité, partagé entre les conseils de ses ministres et les excitations d’un petit entourage d’amis, encouragé par ceux-ci à se croire plus que jamais la providence libérale de l’Europe, avait évité jusque-là de dire sa pensée. Un soir, il faisait venir M. de Metternich et, dans le plus grand mystère, il déroulait brusquement devant lui le système qu’il avait conçu, qui consistait à rendre au peuple français la liberté de décider de lui-même, à convoquer les assemblées primaires pour nommer des députés chargés de choisir un gouvernement et un souverain. M. de Metternich, contenant sa surprise, se bornait d’abord à témoigner quelques doutes et quelques craintes sur cette consultation populaire qui pourrait déchaîner une fois de plus la révolution. L’empereur, suivant son idée, répondait avec une singulière candeur qu’il n’y avait rien à craindre avec des armées nombreuses qui intimideraient les agitateurs, et ajoutait, comme s’il avait tout prévu, tout préparé : « Un point essentiel sera de bien diriger l’assemblée. J’ai sous la main l’homme qu’il faut, l’homme le plus capable de conduire une affaire qui serait peut-être au-dessus des forces d’un novice. Nous chargerons Laharpe de cette tâche délicate. » À ces mots, M. de Metternich n’hésitant plus à entrer au cœur de la question, se hâtait de déclarer que jamais l’Autriche ne se prêterait à un plan dont l’exécution préparerait à la France et à l’Europe un long avenir de confusion, qu’il ne n’y prêterait sûrement pas lui-même. « Que deviendra l’Europe, poursuivait-il vivement, par suite de l’invasion du principe sur lequel repose cette idée ? La confiance que Votre Majesté vient de me témoigner en me révélant ses vues sur la plus grande question du moment, exige que