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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/567

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soir à tous les princes, et depuis, tant que dura le congrès, il ne voulut plus paraître aux bals du chancelier autrichien ; il ne défendait pas aux princes et aux princesses de sa famille de s’y rendre, il n’y allait pas lui-même ; il gardait un air de bouderie. Quand le souverain et le ministre se rencontraient dans les salons, — et c’était presque tous les jours, — ils feignaient de ne pas se voir. Ils n’avaient que des rapports de cour ou de diplomatie officielle. La petite comédie des amours-propres se mêlait à la grande comédie des affaires. Dans ce tourbillon d’intrigues, le souverain russe n’avait point, après tout, l’avantage. Il avait visiblement espéré ruiner le crédit et la faveur de M. de Metternich : il s’était heurté contre la tranquille volonté de l’empereur François, qui ne cessait de se fier à son ministre, qui s’amusait même quelquefois un peu, avec son air de bonhomie, de son hôte impérial et de ses fantaisies. Il avait cru enlever par la persuasion ou par la menace les conquêtes qui lui tenaient à cœur : il ne réussissait qu’à raviver les défiances, à rapprocher les intérêts qu’il froissait ou qu’il inquiétait, à couper pour ainsi dire l’Europe en deux. D’un côté, la Russie et la Prusse restaient seules avec leurs revendications impérieuses et leurs défis ; dans l’autre camp se rencontraient bientôt, avec la France, l’Autriche, l’Angleterre, la Bavière, les petites cours, s’enhardissant à la résistance, tout au moins pour la Saxe.

Chose curieuse ! il y avait à peine trois mois qu’on s’était réuni avec solennité pour fonder l’ordre et la paix en Europe, on en était déjà à se débattre dans une vraie confusion et à se défier. On répétait tout haut, à Vienne, que le conflit des ambitions ne pouvait être tranché que par les armes, que la guerre était inévitable ; on s’y préparait même secrètement par des ordres militaires, par des tentatives d’alliance, et de ce tourbillon sortait tout à coup une combinaison que M. de Talleyrand avait eu l’art de suggérer, qui, dans tous les cas, répondait certes à une situation bien nouvelle. Un jour de décembre, M. de Talleyrand, se trouvant avec lord Castlereagh et le voyant résolu à défendre les droits du roi de Saxe, lui avait dit négligemment que, puisqu’on était si bien d’accord, puisque M. de Metternich était du même avis, on pourrait faire à trois une petite convention ! « Une convention, dit lord Castlereagh ; c’est donc une alliance que vous proposez ? — Cette convention, reprenait M. de Talleyrand, peut très bien se faire sans alliance, mais ce sera une alliance si vous le voulez… » L’entretien finissait par cette parole significative du ministre anglais : « Pas encore ! » Le premier mot était dit. Peu après, au sortir d’une conférence où la Russie et la Prusse avaient redoublé d’arrogance dans leurs prétentions et dans leur ton, lord Castlereagh, blessé dans son orgueil,