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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/603

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l’exécuteur impie d’une juste sentence, Apollon plaide pour le meurtrier involontaire, et Oreste est absous par le suffrage de Minerve sans que le parricide soit justifié : « Voilà la justice bouleversée ! » s’écrient les Érinnyes. Mais non ; c’était une loi d’humanité qui remplaçait l’ancienne et dure loi du talion, et la doctrine morale de l’expiation par la souffrance et la prière qui triomphait de la Fatalité. La chaîne qui liait le meurtre au meurtre est brisée, l’hérédité du crime abolie, et le jugement des dieux remplacé par celui des hommes, ou la justice inexorable par l’équité. La morale se dégage de la religion, la conscience apparaît, et la raison y trouvera bientôt des règles de conduite qui ne dépendront plus d’une vue dogmatique de l’esprit ou d’un intérêt sacerdotal. Les Furies s’en irritent : « Ah ! divinités nouvelles ! vous ne respectez pas d’antiques déesses et des lois vénérables ; » et elles menacent le peuple athénien de leur colère. Mais Pallas les apaise ; elle leur promet en Attique un temple, des fêtes, un culte qui ne sera nulle part aussi brillant. Les Érinnyes, gagnées par les honneurs qui seront rendus à leur divinité, se transfigurent ; elles deviennent les déesses bienfaisantes et elles consentent à prendre, elles aussi, la cité de Minerve sous leur protection. Aux anathèmes des puissances infernales succède un cantique de paix et d’amour, et les dieux réconciliés font, pour les Athéniens, des vœux de victoire. « Qu’avec eux conspirent la terre et les flots, le ciel et les vents ; que le soleil envoie des rayons propices sur leurs champs féconds en fruits et en troupeaux ; que jamais n’y soufflent l’air empesté ou les frémissemens de la Discorde, et que toujours les citoyens y soient animés pour eux-mêmes d’une affection mutuelle, pour l’ennemi d’une haine unanime. » Puis la procession des Panathénées se forme pour conduire « les augustes et chastes déesses » au temple demi-souterrain que Pallas leur a préparé. Les flambeaux sacrés s’allument ; les prêtres amènent les victimes qui vont être immolées et Athéné marche en tête du pieux cortège. Derrière elle s’avancent les prêtresses, gardiennes de son image sainte, les vieillards de l’Aréopage portant de verts rameaux, les matrones en longues robes de pourpre et les jeunes filles « fleurs du pays de Thésée. » Des chants accompagnent leur marche ; les derniers qui sortent de la scène répètent encore : « Chantons, chantons des hymnes. » Et les citoyens se retiraient le cœur rempli des nobles sentimens que le poète y avait versés. Ainsi les spectateurs du Cid et d’Horace emportaient quelque chose de l’âme de Corneille.

Le théâtre d’Eschyle est toujours un enseignement moral, quelquefois politique. Les Suppliantes sont un chant en l’honneur de l’antique vertu qui faisait de l’hospitalité un devoir religieux, une avance aux Argiens de son temps pour qu’ils restent fidèles à