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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/604

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l’alliance d’Athènes, et une menace contre les Perses d’Egypte, que Cimon allait attaquer. Dans les Sept contre Thèbes, où Aristide parut sous les traits du sage Amphiaraos le poète montre le chef intrépide dont les plus grands périls n’ébranlent pas le courage. Dans les Perses, le dévoûment à la patrie ; dans l’Agamemnon, le châtiment de l’adultère ; dans les Euménides, la justice même représentée par l’Aréopage que les démocrates attaquaient. Il croit au Destin, mais aussi à la Justice, sans expliquer l’inexplicable problème. Son libre esprit résiste, tout en l’admettant, à l’énervante doctrine de la Fatalité. « Les hommes, dit-il avec une fierté légitime, répètent qu’une fortune heureuse attire nécessairement une inénarrable misère. Moi seul, je pense autrement. Une action impie en fait naître bien d’autres ; le bonheur, dans la maison du juste, engendre toujours le bonheur. » Et il explique comment ce bonheur peut s’acquérir par la modération dans les désirs, dans la fortune et dans l’orgueil. « L’homme prudent, dit-il, sait renoncer à une partie de ses biens pour conserver le reste ; il sauve sa maison qui se serait écroulée sous le poids des malheurs. » C’est le « Rien de trop » de l’inscription delphique, si nécessaire pour désarmer l’Envie des Dieux ; et c’est la pensée morale qu’on retrouve dans toute l’œuvre d’Eschyle. Mais il veut aussi une vertu plus active. Dans la bouche des Furies, il met ces paroles : « Honore les parens ; ne renverse pas d’un pied impie l’autel de la justice et réserve à l’hôte qui arrive sous ton toit un accueil bienveillant. » Ailleurs, il écrit : « Tout ce que tu fais de mal, un œil le voit. » Ce sont préceptes bibliques.

Mais écoutez Aristophane racontant la dispute élevée, aux. Enfers entre Eschyle et Euripide, en présence de Bacchus, le dieu du drame et le juge du camp. Le poète aux fortes pensées et au grand style s’irrite d’avoir à combattre le « beau diseur, à la langue souple et effilée, qu’il va terrasser de ses mots immenses, hauts comme des montagnes, de ses vers ajustés comme les charpentes d’un navire. »


ESCHYLE. — Réponds-moi : qu’admire-t-on dans un poète ?
EURIPIDE. — Les habiles conseils qu’il donne.
ESCHYLE. — Vois alors les hommes grands et braves que je t’avais laissés. Ils ne fuyaient pas les charges publiques et n’étaient pas, comme aujourd’hui, des discoureurs de carrefour, des charlatans et des fourbes ; ils ne respiraient que les combats.
BACCHUS. — Et comment leur avais-tu enseigné la bravoure ?
ESCHYLE. — En composant un drame tout plein de l’esprit de Mars.
BACCHUS. — Lequel ?