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XERXES. — Hélas ! notre flotte a péri !
LE CHOEUR. — Je t’accompagnerai avec de tristes lamentations.


Et ils se retiraient en poussant des cris déchirans, qu’étouffait enfin le bruit des applaudissemens des Athéniens ; spectateurs radieux du drame qu’ils avaient joué naguère sur les flots sonores de Salamine.

Les Perses étaient le centre d’une trilogie dont les deux autres pièces sont perdues. On conjecture que la première racontait la conquête de la Toison d’Or, par les Argonautes, au fond de l’Euxin, et la troisième la défaite des Carthaginois par les Grecs siciliens, dans la Méditerranée occidentale. La trilogie était donc la glorification de l’Hellade, victorieuse de la barbarie asiatique et africaine ; et l’on se figure les transports qui éclataient dans Athènes et à Syracuse quand le poète montrait « l’Asie tombée lourdement à genoux sous la lance dorienne. »

Quand de tels accens retentissaient sur la scène, le théâtre devenait l’école où se formaient les soldats de Cimon et de Périclès, ceux dont Thucydide dira : « Ce sont les hommes et non les remparts qui font la force des cités. » Mais le poète religieux, tout en exaltant l’orgueil de son peuple, avait soin de lui montrer, au-dessus des trophées de la guerre d’indépendance, la justice divine qui avait précipité l’insolente fortune du grand roi : une leçon de morale et de modération après un chant de victoire.

Eschyle mourut en Sicile (455). Dans l’épitaphe qu’il composa pour son tombeau, ce mâle et fier génie, sûr de l’immortalité de ses vers, ne parla que de ses exploits : « Ce monument couvre Eschyle. Né Athénien, il mourut dans les plaines fécondes de Cela. Le bois tant renommé de Marathon et le Mède à la longue chevelure diront s’il fut brave ; ils l’ont bien vu. » Athènes ne ratifia pas cet exil volontaire de son grand poète. Au siècle suivant, l’orateur Lycurgue lui fit dresser une statue d’airain, comme à Sophocle et à Euripide, et un décret ordonna qu’une copie de leurs œuvres, faite aux frais de l’état, serait remise à la garde du greffier de la république et que les acteurs seraient contraints de la suivre sans y rien changer.


II

Sophocle était presque du même âge que Périclès, puisqu’on place sa naissance en 498 ; un contemporain aussi d’Eschyle, plus vieux, de trente ans, d’Euripide, plus jeune de quinze ; et un ami d’Hérodote, qu’il célébra dans un poème. A Salamine, il avait été choisi, à cause de sa beauté, pour conduire le chœur des