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trois plaidoiries contre la guerre ; les Chevaliers, contre Cléon ; les Nuées, contre les sophistes et Socrate ; les Fêtes de Cérès et les Grenouilles, contre Euripide ; les Guêpes, que Racine a imitées ; l’Assemblée des femmes, contre l’utopie que Platon développera bientôt et qui déjà se montrait : la communauté des femmes et des biens ; le Plutus, protestation contre l’aveugle répartition de la richesse et apologie du travail, sans lequel toute prospérité disparaît ; enfin, les Oiseaux, fantaisie charmante, mais satire du ciel et de la terre, des hommes qui ne font que des sottises et des dieux qui gouvernent si mal le monde.

Platon, ennemi de la démocratie, fait naturellement grand cas de l’écrivain qui la combattit si vaillamment. Dans son Banquet, il lui donne place à côté de Socrate, bien que le poète ne se soit jamais réconcilié avec le philosophe, et lorsque Denys de Syracuse voulut connaître le gouvernement d’Athènes, Platon lui envoya les Acharniens et les Chevaliers, ce qui était de sa part une nouvelle satire et, peut-être, une mauvaise action contre sa patrie. Enfin, il est de Platon, cet éloge qui nous surprend : « Les Grâces, cherchant un sanctuaire indestructible, trouvèrent l’âme d’Aristophane. » Pour sauver la réputation du philosophe comme moraliste, il faut croire qu’en parlant ainsi, il ne pensait qu’aux nombreux passages qui, sur un fond trop souvent ordurier, se détachent en étincelantes saillies de bon sens ou en doux éclat de pure poésie. Lisez dans les Nuées, parodie de la sophistique et de Socrate[1], la dispute fameuse du juste et de l’injuste. Le vieux Strepsiade, ruiné par les désordres de son fils, voudrait bien trouver le moyen de ne pas payer les dettes que le prodigue a contractées : pour cela il l’envoie à l’école des sophistes. « Qu’irai-je y apprendre ? » demande le fils.

STREPSIADE. — Ils enseignent, dit-on, deux raisonnemens : le juste et l’injuste. Par le moyen du second, on peut gagner les plus mauvaises causes. Si donc tu apprends ce raisonnement injuste, je ne paierai pas une obole de toutes les dettes que j’ai contractées pour toi. »

Sur le refus de son fils, le vieillard se rend lui-même chez Socrate, et bientôt il y apprend à ne plus croire aux dieux. Il rencontre son fils et l’entend jurer par Jupiter olympien : « Voyez,

  1. Les Nuées furent jouées en 424 ; elles n’eurent donc pas d’influence sur le condamnation de Socrate. Mais, bien que Platon, dans son Banquet, fasse asseoir le poète à côté du philosophe, Aristophane garda sa rancune, témoin les vers 1401-1409 de la pièce des Grenouilles, jouée en 405. Socrate était toujours pour lui un diseur de niaises subtilités, et, en parlant ainsi, il a dû exprimer l’opinion d’un certain nombre de ses auditeurs qui se retrouveront parmi les juges de 399.