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orientale. Les deux colonnes qui soutenaient la terrasse où elles circulaient étaient carrées, mais les pans en étaient coupés à la base, disposition qu’on retrouve dans toutes les maisons de Fès et de Meknès. Qu’elle soit commode pour la circulation autour des colonnes, c’est possible; elle n’en constitue pas moins une faute d’architecture évidente, car elle donne à celles-ci une apparence de faiblesse à la base qui semble compromettre la solidité de tout l’édifice. Des colonnes qui deviennent plus grosses à mesure qu’elles s’élèvent, n’est-ce pas un non-sens? Mais les Arabes ont toujours manqué, dans leurs œuvres, de logique et de raison. J’ai vu des colonnes dans les cours marocaines, qu’on avait tellement taillées et tailladées dans leur partie inférieure pour y faire des ciselures de toutes sortes, qu’elles paraissaient sans cesse sur le point de tomber. Celles de la cour du caïd el-mechouar étaient loin d’avoir un aspect aussi fragile. Elles se terminaient sans chapiteau ; mais à leur sommet courait une large corniche en bois, presque plate, appliquée contre le mur, à laquelle la pluie et le temps avaient donné une teinte gris passé d’une douceur exquise ; à peine si de légères moulures, d’un ton plus vif, couraient sur ses bords et en son milieu. De grandes lampes pendaient entre les colonnes, et la foule des serviteurs était répandue dans tous les sens en groupes colorés.

Le caïd el-mechouar nous attendait à sa porte pour nous dire son éternel : « Murhaha bikoum ! Soyez les bienvenus! » Il avait à côté de lui une de ses filles, jeune enfant de quatre ou cinq ans, qui tenait de son père des formes massives bien différentes des formes légères des femmes que l’on voyait passer, repasser et s’arrêter sur les terrasses. M. Féraud l’ayant prise dans ses bras et lui ayant baisé la main, le caïd el-mechouar prit à son tour cette petite main dans les siennes et la baisa avec un profond respect. Le baiser de l’ambassadeur en avait fait quelque chose de sacré, même pour un père; la politesse arabe a de ces raffinemens que nous n’imaginerions jamais, nous grossiers! Nous nous mîmes à table dans une des salles qui donnaient sur la cour, et je ne sais si ce fût à cause du décor que nous avions sous les yeux, mais le fait est que le dîner nous parut un peu plus mangeable que les précédens. Un orchestre de musiciens, placé à côté de nous, nous sembla aussi moins discordant que ceux que nous avions entendus jusque-là. La musique arabe du Maghreb est inférieure à celle d’Orient. Elle est plus lourde, moins harmonieuse, plus dépourvue encore d’idées mélodiques. Toutefois, chez le caïd el-mechouar, elle avait au moins une qualité, celle d’être discrète et de ne pas faire trop de bruit. Quand le repas fut terminé, nous allâmes nous asseoir à l’autre extrémité de la cour, de sorte que nous avions en face de