Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/669

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

stratégiques et les points de ravitaillement. Les premières n’ont pas l’importance qu’elles avaient autrefois, alors qu’une escadre pouvait s’abriter sous les canons d’un fort ou dans le fond d’une rade ; quand on pouvait, avec des batteries établies à terre, interdire l’entrée d’un détroit. Les navires d’aujourd’hui, avec leur grande vitesse, leurs puissantes machines, leur artillerie et leur blindage, n’ont plus à tenir le même compte des défenses de terre que par le passé ; mais celles-ci sont encore respectables pour les navires de guerre d’un plus faible échantillon. Les points de ravitaillement sont devenus, au contraire, absolument indispensables pour les navires à vapeur. Ces bâtimens ne peuvent pas embarquer au départ la quantité de charbon qui leur est nécessaire pour tenir la mer, ni pour atteindre une destination un peu éloignée. Il faudrait pour cela leur donner des dimensions démesurées, et ce serait au détriment de leur vitesse et de leur chargement. Il est donc indispensable qu’ils trouvent, de distance en distance, des approvisionnemens de houille, et chaque nation doit avoir les siens, pour ne pas se trouver à la merci de ses rivales, pour ne pas voir ses forces navales paralysées par un simple refus de concours. C’est ce qui a failli nous arriver pendant notre guerre avec la Chine. L’Angleterre a menacé un instant de refuser le charbon à notre escadre de l’extrême Orient. Nous devons nous mettre en garde contre le retour de telles éventualités. C’est dans ce dessein que nous avons fondé le petit établissement d’Obock, à la côte orientale d’Afrique, en face d’Aden et sur la grande route maritime qui conduit de Suez à nos possessions d’Orient. Le territoire qui nous a été concédé est assez vaste et pourra donner naissance un jour à une colonie. Il serait facile de nouer des relations commerciales avec l’intérieur, mais le climat est sec, brillant et inhospitalier, comme celui de l’Afrique équatoriale. Il n’est question, pour le moment du reste, que d’y créer un port de relâche, un dépôt de charbon pour ceux de nos navires qui se rendent en Cochinchine ou au Tonkin.

Réduites à ce rôle modeste, les possessions coloniales ont encore des avantages. Une nation maritime ne peut pas s’en passer. Les intérêts de son commerce et ceux de sa marine marchande les lui rendent indispensables, mais du moment où il ne s’agit plus que d’établissemens commerciaux, ces relations exigent une bonne volonté réciproque ; il faut donc s’attacher à vivre en bons termes avec les naturels et ne pas débuter par leur déclarer la guerre. Le temps n’est plus où on s’en allait, le mousquet sur l’épaule, conquérir et convertir des royaumes, à la façon des Fernand Cortez et des Pizarre. Le moment même est passé de traverser l’Afrique comme un boulet de canon, à la manière de Stanley. En opérant ainsi,