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leurs habitans, mais elles n’ont pas besoin de s’en préoccuper. Leurs nationaux trouvent d’eux-mêmes à s’employer à l’étranger sans qu’il soit nécessaire de leur y chercher une place. Les Anglais regardent le monde entier comme leur domaine, et les Allemands ont depuis longtemps choisi leur terrain d’émigration. Leur gouvernement vînt-il à s’approprier tout le bassin du Congo, qu’ils ne seraient pas tentés de l’y suivre. Ils continueraient à s’étendre dans l’Amérique du nord, où les appellent des relations établies de longue main, où leurs compatriotes les attendent, où ils trouvent, sous un climat semblable au leur, l’emploi de leur activité et de leurs aptitudes.

On ne dirige pas plus les courans d’émigration que les courans commerciaux, et les gouvernemens ne les détournent pas au gré de leurs fantaisies. Ils s’épargneraient bien des mécomptes s’ils avaient la sagesse de suivre le mouvement au lieu de vouloir l’imprimer. Il ne reste donc plus à l’expansion des vieilles nations d’autre aliment intérieur que les colonies commerciales, mais elles ne doivent pas s’attendre à y trouver les bénéfices qui rendaient ces spéculations si productives dans les siècles précédens. Il y a toujours avantage sans doute à nouer des relations avec les peuples qui commencent ; mais il n’est plus aussi facile de les exploiter qu’autrefois. D’une part, on n’a plus besoin d’aller chercher les produits exotiques dans les pays de production, car ils se rendent d’eux-mêmes sur nos marchés et les encombrent quelquefois ; de l’autre, lorsqu’on cherche des débouchés à son industrie, il ne faut plus compter sur le monopole. Toute nation qui ouvre un marché nouveau est certaine d’y rencontrer la concurrence des puissances rivales, et il faut qu’elle soit sûre de l’emporter sur elles par la qualité ou par le bon marché de ses produits. Sans cela, elle travaille pour les autres, et les sacrifices qu’elle fait profitent à ses concurrens.

En réalité, la colonisation se borne aujourd’hui à administrer et non à exploiter les pays qu’on occupe. La puissance colonisatrice assure aux indigènes la sécurité pour leurs personnes, et pour leurs biens. Elle les protège contre leurs ennemis du dehors. Elle prélève des impôts dont le produit se dépense dans le pays, pour assurer tous les services publics et créer des ressources nouvelles. Il n’en revient rien à la métropole. Elle garde à sa charge l’entretien de ses fonctionnaires, de ses troupes et de ses navires. Ce n’est pas là ce qui peut enrichir un pays ; encore les colonies qui peuvent se soutenir par elles-mêmes sont-elles rares, et il n’y en a que deux qui rapportent de sérieux bénéfices à la mère patrie : c’est Cuba pour l’Espagne et Java pour la Hollande. Il en est enfin qui sont de véritables charges, mais que la métropole est obligée d’entretenir, dans l’intérêt de sa sécurité et de sa marine ; ce sont les positions