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longueur, borné par des montagnes, par des forêts presque inaccessibles et dont les limites sont inconnues. Ce terrain d’alluvion, avec sa température moyenne de 28 degrés, ses pluies diluviennes qui tombent pendant six ou sept mois de l’année, est le type des pays palustres. Les fièvres intermittentes, les affections du tube digestif y sont à l’état endémique, et la fièvre jaune y fait de temps en temps son apparition. Il est inutile d’ajouter que la race européenne ne peut ni s’y développer ni s’y livrer à la culture du sol. On a toujours confondu la ville de Cayenne, qui s’avance dans la mer, et que les vents du large balaient en tout temps, dont le sol a été assaini, et dans laquelle les Européens jouissent habituellement d’une bonne santé, avec le reste de la Guyane, où les maladies les déciment. On conçoit que l’émancipation ait été mortelle pour une pareille colonie. Elle n’a jamais été l’objet d’une exploitation bien importante ; la population n’a jamais dépassé 17,000 âmes pour une superficie évaluée à 150,000 kilomètres carrés ; mais elle vivait dans un état de prospérité satisfaisante, au temps de l’esclavage. En 1838, quand je l’ai visitée pour la première fois, on y voyait encore des habitations en plein rapport, quelques routes bien entretenues et un petit mouvement commercial suffisant pour faire vivre la population. Depuis cette époque, les habitations et les routes ont disparu sous le flot montant de la végétation équatoriale ; l’herbe pousse dans les rues de Cayenne et le commerce y est devenu presque nul. Depuis le mois de juillet 1855, époque à laquelle les mines d’or ont été mises en exploitation, tous les bras valides ont émigré vers les placers et toutes les cultures ont été abandonnées. Ce pays, d’une fertilité inouïe, ne peut plus aujourd’hui nourrir ses habitans. Toutes les denrées alimentaires y sont apportées du dehors, et coûtent tellement cher que les fonctionnaires sont dans l’impossibilité de vivre avec leurs appointemens. On ne peut pas désespérer d’une manière absolue de l’avenir de cette colonie, en présence de la prospérité des possessions anglaises et hollandaises qui l’avoisinent. La fécondité du sol, la richesse des mines, les admirables bois de construction que renferment les forêts, sont des ressources qu’on pourra peut-être utiliser un jour, mais jusqu’ici la France n’en a pas tiré grand parti.

Quant à la valeur de la Guyane comme colonie pénitentiaire, elle est jugée par les tentatives désastreuses qu’on y a faites à diverses reprises, et dont la dernière est trop récente et trop décisive pour qu’on puisse la recommencer. L’expérience a duré vingt-six ans. Sur 21,906 transportés qui sont arrivés à la Guyane, du 10 mai 1852 au 1er janvier 1878, il en est mort 10,837 et 2,452 ont disparu. La mortalité annuelle a été, en moyenne, de 88 pour 1,000 ; la durée de la vie probable était, pour tout arrivant, de sept ans six mois et